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Le commissaire aux comptes est-il tenu de se rendre à une convocation du CSE ? (Tribunal commerce Paris 18/01/2022 – RG 2021006051)

Article juridique – Droit du travail et social

Par Me Stéphane VACCA

Le commissaire aux comptes de l’entreprise est-il tenu de se rendre à la convocation du Comité Social et Economique, de l’article L.2312-25 II 2° du code du travail qui édicte que « le comité peut convoquer les commissaires aux comptes pour recevoir leurs explications sur les différents postes des documents communiqués ainsi que sur la situation financière de l’entreprise » ?

(Jugement au fond du Tribunal de commerce de Paris du 18/01/2022 – RG 2021006051)

Depuis 1945, les salariés participent à la détermination collective de leurs conditions de travail au sein de la collectivité, décentralisée, de leur entreprise. Le comité social et économique, dernière réforme des institutions ayant refondu, à compter du 01/01/2020, les délégués du personnel (DP), le CHSCT et le comité d’entreprise (CE), au sein d’un comité social et économique (CSE) unique, est l’intermédiation directe des salariés et aussi l’institutionnalisation de leur « régime de citoyenneté, tant sociale, que civile, que politique », selon la formule de Jacques LE GOFF (« Du silence à la parole – une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours » – p. 18. Ed. PUR Université des normes).

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 précisait que tout travailleur participait, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises.

Il s’agit depuis 1993 d’une prérogative de valeur constitutionnelle, reconnue par le Conseil constitutionnel, au même titre d’ailleurs que le droit syndical, la liberté syndicale et le droit de grève : « (…)  3. Considérant que, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose en son huitième alinéa que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises », l’article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ; qu’ainsi c’est au législateur qu’il revient de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en œuvre ; (…) » (Const. 27/10/1946, préambule al. 8 ; CC 16/12/1993 n°93-328 DC § 3).

Le droit de recevoir une information précise, écrite et loyale est une prérogative essentielle dont jouit le CSE (ex CE), dans l’exercice de ses missions d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise… (cf. art. L. 2312-8 du code du travail), à tel point que la Cour de cassation a reconnu au CE d’entreprise (CSE central nouveau) des prérogatives équivalentes à celles des comités d’établissements (CSE d’établissements nouveaux), à se faire assister par un expert-comptable pour l’analyse des comptes annuels et des comptes prévisionnels (Cass. soc. 08/03/2017 n°15-22882).

Il est donc devenu légitime et ordinaire que le CSE soit déclaré créancier d’une information détenue, ou par l’employeur, ou par des tiers n’ayant pas la qualité d’employeur :

Exemples légaux :

  • avec un tiers donneur d’ordre : cf. article L.2312-58 du code du travail dans un cadre supplétif, ou cf. article L.2242-21 du code du travail à l’occasion de la négociation d’entreprise obligatoire ;
  • avec un tiers chef d’une entreprise voisine : cf. article L.2312-13 du code du travail en cas d’inspections en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail et maladies professionnelles ;
  • avec l’employeur : cf. art. L.2312-15 al. 4 du code du travail, le CSE pouvant, s’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants ;
  • avec un tiers auteur d’une OPA : cf. article L.2312-42 du code du travail lorsque le CSE souhaite procéder à l’audition de l’auteur de l’offre et désigner un expert-comptable dans les conditions prévues aux articles L.2315-92 et L.2315-93, l’objectif de ces dispositions étant de favoriser un dialogue social le plus en amont possible de l’élaboration du projet et de donner priorité aux représentants du personnel (art. L.431-5-1 ancien du code du travail – Circ. DGEFP/DRT/DSSn°2002/1, 5 mai 2002 relative à la mise en œuvre des art. 93 à 123 de la loi de modernisation sociale) ; avec l’article L.2312-46 du code du travail, les membres de la délégation du personnel du comité social et économique peuvent, s’ils estiment ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond en dernier ressort pour qu’il ordonne la communication, par la société faisant l’objet de l’offre et par l’auteur de l’offre, des éléments manquants ;

Exemples jurisprudentiels :

  • TJ Paris référé, ord. 09/10/2020 RG. : 20/56077, jurisdata 2020/01567 : Constitue un trouble manifestement illicite l’absence d’information-consultation du CSE sur le projet de vente du détenteur des actions de l’entreprise à une société tierce : ici, à propos d’une cession d’actions, le CSE était recevable à agir à l’encontre de la société tierce qui entendait céder les actions dans l’entreprise au sein de laquelle il était établi ainsi qu’à l’encontre de celle qui s’était portée acquéreur de ces actions afin qu’une information utile et loyale lui fût communiquée par l’employeur chargé de sa consultation ;
  • CA Paris 19/11/2020 n°20/06549 jurisdata n°2020-019114 : le fait pour deux sociétés de s’abstenir de fournir à l’une des informations nécessaires pour permettre à ces instances représentatives du personnel de rendre un avis sur le projet de cession des parts détenues dans son capital et par suite, l’absence d’information et de consultation des CSE sur ce projet, constitue un trouble manifestement illicite. Ici, les deux sociétés partenaires s’étaient abstenues de fournir à la société visée les informations nécessaires pour permettre à ses instances représentatives du personnel de rendre un avis sur le projet de cession de 29,9 % des parts détenues dans son capital ;
  • TGI Nanterre du 11/07/2019 n°19/02211 : à propos d’un projet de cession, le tribunal fit état de détournement de pouvoir et d’abus de droit (« en s’abstenant délibérément de le faire, les sociétés défenderesses ont commis un détournement de pouvoir, empêchant le CSE d’exercer ses droits à recueillir des explications utiles et à faire des propositions alternatives. Il en découle que cet abus de pouvoir affecte nécessairement la légalité de la procédure d’information et de consultation sur le projet de cession ») ;
  • Cass. crim. 29/06/1982 n°81-93572 : délit d’entrave caractérisé pour le chef d’entreprise qui, à la réalisation d’une cession, n’a pas tenu informé ni consulté à son sujet le comité d’entreprise ;
  • Cass. crim. 11/06/2013 n°12-83081 : délit d’entrave caractérisé au fonctionnement régulier du comité central d’entreprise, pour abstention volontaire d’information et de consultation préalablement à la mise en place d’un nouveau service de garantie.

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