Jusqu’à présent, en l’absence d’organisation de la visite de reprise, le salarié ne pouvait pas prétendre au paiement de sa rémunération. Il pouvait en revanche être indemnisé en fonction du préjudice subi.
Dans un arrêt du 24 janvier 2024 la Cour de cassation met fin à cette jurisprudence et indique qu’à présent, la rémunération est due.
Dans un récent arrêt [1], la Cour de cassation a modifié sa position quant à l’indemnisation du salarié dont la visite médicale de reprise n’est pas programmée : à présent, il a droit au paiement de sa rémunération.
Rappels sur la visite médicale de reprise.
Il ne s’agit pas ici de revenir sur les visites médicales périodiques, mais de rappeler les dispositions afférentes à la visite médicale de reprise, qui se distingue des visites périodiques (même si la reprise du travail se situe à une date proche de la visite périodique [2]).
En effet (pour les arrêts de travail survenus après le 31 mars 2022), l’examen de reprise du travail est obligatoire [3] après :
- Une absence pour maladie professionnelle,
- Une absence d’au moins 30 jours pour accident du travail,
- Un congé de maternité (afin dans ce cas d’apprécier la capacité à reprendre l’ancien poste et la nécessité d’adaptation des conditions de travail, mais sans différé de la période de protection contre les licenciements[4]),
- Une absence d’au moins 60 jours pour maladie « ordinaire » (maladie ou accident d’origine non professionnelle).
Il appartient à l’employeur de saisir le médecin du travail afin qu’il organise cette visite (avec les problématiques bien connues de saturation des services de médecine au travail, à noter qu’une telle saturation n’exonère pas l’employeur de son obligation [5], à charge pour lui de se retourner contre son service de médecine du travail s’il est condamné en raison de cette saturation [6]).
La visite peut toutefois être organisée après une demande du salarié au service de médecine du travail, le salarié doit, dans ce cas, avertir son employeur de sa demande [7].
Seule la visite de reprise met fin à la suspension du contrat de travail [8]. Par conséquent, à défaut d’examen de reprise, le contrat de travail reste suspendu et le salarié n’a pas à reprendre le travail [9].
Le cas échéant, si, à l’issue de la visite de reprise, le salarié est déclaré inapte, alors une procédure de reclassement puis/ou de licenciement doit être mise en œuvre, mais ce n’est pas l’objet du présent article.
Position de la Cour de cassation jusqu’à présent.
La question qui se pose est la suivante : que se passe-t-il si l’employeur n’organise pas la visite de reprise alors qu’il est averti de la fin de l’arrêt de travail ?
Cette dernière précision est importante puisque, si l’employeur n’est pas averti du terme des arrêts de travail, la jurisprudence estime qu’il ne peut pas organiser la visite de reprise [10].
Jusqu’à présent, la Cour de cassation estimait que le contrat de travail étant toujours suspendu, le salarié ne pouvait pas prétendre au paiement des salaires.
La Cour de cassation s’était de nouveau prononcée sur ce sujet en 2019 [11] :
« Vu les articles R4624-22 et R4624-23 du Code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause, ensemble l’article L1221-1 du Code du travail ;
Attendu que pour condamner l’employeur à payer au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaires pour la période du 11 au 25 septembre 2013 et congés payés y afférents, l’arrêt retient que le salarié est bien-fondé en sa demande de salaire pour la période comprise entre le 11 septembre 2013 et le 25 septembre 2013, en ce qu’il a été précédemment retenu qu’en l’absence de visite de reprise organisée dans les délais légaux, son absence n’était pas fautive de sorte que c’est à tort que l’employeur lui a retiré sur cette période la somme de 1 216,12 euros ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le salarié n’avait pas été soumis à un examen de reprise, ce dont il résultait que le contrat de travail demeurait suspendu, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs :
casse et annule ».
Toutefois, et fort logiquement, la Cour de cassation estimait que lorsque le salarié subissait un préjudice découlant de l’absence d’organisation de la visite de reprise, alors il pouvait prétendre à l’indemnisation de ce préjudice [12] :
« Attendu, ensuite, qu’ayant constaté que l’employeur, informé par le salarié, qui n’avait pas manifesté la volonté de ne pas reprendre le travail, de son placement en invalidité 2e catégorie en janvier 2006, ne l’avait convoqué que le 4 novembre 2010 à une visite médicale de reprise et exactement retenu qu’il appartenait à l’employeur d’organiser la visite de reprise, la cour d’appel a pu décider qu’en tardant plus de quatre années pour organiser cette visite, l’employeur avait commis une faute engageant sa responsabilité et a souverainement apprécié le préjudice subi par le salarié ».
À notre avis, la position de la Cour de cassation était cohérente, et ne privait pas les salariés lésés.
En effet, le contrat de travail étant suspendu, il ne peut pas y avoir de versement d’un salaire, cela semble logique.
Il est tout aussi logique de considérer que le salarié ne pouvant reprendre le travail en raison d’un manquement de son employeur, il doit être indemnisé. Or, dans ce cas de figure, le préjudice du salarié est relativement aisé à apprécier puisqu’il s’agit du salaire non perçu en raison dudit manquement de l’employeur.
La semaine passée, la Cour de cassation a toutefois changé sa position, et finalement, cela fait sens.
Apports de l’arrêt du 21 janvier 2024.
Dans l’arrêt rendu la semaine dernière [13], la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence antérieure :
Vu l’article L1221-1 du Code du travail :
« 11. Il résulte de ce texte que le salarié qui, à l’issue de son arrêt de travail, se tient à la disposition de l’employeur pour passer la visite médicale de reprise a droit au paiement de sa rémunération.
12. Pour rejeter la demande du salarié en paiement d’un rappel de salaire à compter du 12 novembre 2019, l’arrêt retient que le salarié avait décidé de ne pas se présenter à son travail, faute de visite de reprise.
13. En se déterminant ainsi, la cour d’appel, sans rechercher, ainsi qu’il lui était demandé, si le salarié ne s’était pas tenu à la disposition de l’employeur pour passer la visite médicale de reprise, a privé sa décision de base légale ».
Cet arrêt entraine plusieurs observations.
La première, la plus évidente, est le revirement de jurisprudence.
La position de la Cour de cassation pourtant confirmée en 2019 prend fin ; à présent, un salarié dont l’arrêt de travail a pris fin et qui ne passe pas de visite de reprise a droit au paiement de sa rémunération.
Il est vrai que ce revirement heurte quelque peu la rigueur juridique au terme de laquelle le contrat reste suspendu tant que la visite de reprise n’a pas eu lieu.
Dans les faits, nous avons indiqué plus haut que le préjudice du salarié était facile à évaluer, dès lors, que change cet arrêt ?
Pour les situations dans lesquelles le salarié est apte à la reprise, cela ne change pas grand-chose, dans la mesure où, comme indiqué précédemment, le préjudice était aisément évaluable.
En revanche, la question se posait différemment pour les salariés inaptes. En effet, un salarié inapte n’aurait pas repris le travail après sa visite de reprise, quel était donc son préjudice ? La perte de temps sur le reclassement, et donc sur la reprise de rémunération, ou le cas échéant la perte de temps sur le licenciement, et donc sur la prochaine recherche d’emploi ?
Pour ces salariés inaptes, il est vrai que l’évaluation du préjudice est plus aléatoire, et la préservation des droits moins évidente. Le présent arrêt de la Cour de cassation clarifie donc la situation.
Seconde observation, la Cour de cassation ne mentionne plus que l’employeur doit avoir été averti du terme des arrêts de travail (cf. : arrêt précité du 17 mai 2016 [14]), mais indique en revanche que la rémunération est due lorsque le salarié se tient à la disposition de l’employeur.
Bien que l’absence de mention relative à l’information de l’employeur laisse planer le doute, on peut penser qu’il reste nécessaire que l’employeur sache que les arrêts prennent fin. Ceci est d’autant plus vrai que se posera la question de la tenue à disposition du salarié et de la démonstration de cette tenue à disposition.
On ne pourra que conseiller aux salariés d’écrire à leur employeur, en amont du terme des arrêts de travail, pour l’avertir de la fin de ces arrêts, et pour lui indiquer qu’ils se tiennent à sa disposition pour passer la visite de reprise.
Réciproquement, on ne pourra que conseiller aux employeurs de prendre attache sans délai avec les services de médecine du travail pour organiser un rendez-vous dans les 8 jours de ce terme [15], en espérant une décongestion des services de médecine du travail.