« La CFDT devance la CGT et devient le premier syndicat de France au niveau national ». La formule a été reprise en cœur par tous les commentateurs qui attendaient visiblement cette nouvelle depuis toujours. Même le 20 heures de France2 y a consacré de longues minutes alors qu’habituellement ce journal télévisé parle rarement de l’actualité sociale et syndicale. Sauf que l’information était fausse ! En effet, « au niveau national », la CGT est toujours la première organisation tant en terme d’adhérents que de nombre d’électeurs. Comment cela est-il donc possible ?
Si la presse, unanime, a catapulté la CFDT comme « premier syndicat de France », c’est suite au communiqué du ministère de Travail rendant public le résultat agrégé de plusieurs types de scrutins qui n’ont pourtant pas grand-chose en commun : élections des représentants du personnel (comités d’entreprise ou délégués du personnel) qui se sont tenues dans les entreprises d’au moins onze salariés entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2016 ; vote des salariés des très petites entreprises (les TPE, moins de onze salariés, qui n’ont pas d’élections professionnelles), qui s’est déroulé par correspondance en janvier 2017 ; et enfin, les élections de janvier 2013 dans les collèges salariés des chambres départementales d’agriculture.
À la lecture de ces résultats, l’organisation dirigée par Philippe Martinez ressort affaiblie puisque qu’elle passe de 26,77 % des suffrages exprimés lors de la précédente mesure (en 2013) à 24,85 % cette année. La CGT perd non seulement 50 000 voix mais se trouve désormais reléguée en deuxième position. A contrario, la CFDT progresse en voix (+ 65 000), et donc en suffrages exprimés (26,37 %, contre 26% la fois précédente) ce qui, dans ce calcul, la met très (mais seulement très) légèrement en tête.
Ce qu’ont oublié de préciser les commentateurs présentateurs du monde médiatique est que ces résultats ne concernent que le secteur privé et ne représentent donc pas l’ensemble du monde du travail dans un pays où le poids de la fonction publique est très important (plus de cinq millions d’agents). En additionnant les suffrages exprimés dans le privé et ceux des fonctionnaires (automne 2014), la CGT reste encore la première organisation, avec un score de 23,9 %. Dans un mouchoir de poche il est vrai, puisque la CFDT, seconde, fait à peine moins avec 23,6 %. Certes, pas de quoi pavoiser pour la centrale de Montreuil. Mais un point que les journalistes ont soigneusement omis de préciser.
Un autre mythe est également largement répandu dans certains médias : « la CFDT est le premier syndicat en terme d’adhérents ». Ainsi, dans un article intitulé « CFDT-CGT, le match en chiffres », Le Figaro accorde (comme la plupart de ses confrères) 860 000 adhérents à la CFDT et renvoie la CGT très loin derrière, avec quasiment deux cent milles cotisants de moins. Toutefois, il semble que les journalistes n’aient pas beaucoup creusé pour vérifier cette assertion car selon une étude (certes vieille de dix ans), on apprend que la CFDT gonfle allégrement les chiffres de ses syndiqués par un subtil mode de calcul, lequel a toujours cours.
- Subtil mais en fait très simple : le nombre d’adhérents est calculé à partir du nombre de timbres mensuels acquittés à la confédération. Celle-ci divise ensuite ce nombre par huit mois au lieu de douze mois comme il faudrait le faire ! Une manipulation d’autant plus imparable que les cotisations se font désormais par prélèvement automatique. Si bien que la gonflette dépasse de 40 % le chiffre attendu. Ce qui fait qu’avec un nombre réel d’adhérents qui doit plutôt flirter avec les 500 000, l’organisation de Laurent Berger reste donc toujours derrière la CGT, laquelle doit se situer autour de 600 000 syndiqués. Même si cette dernière ne doit sans doute pas cracher sur un petit « pot belge » pour améliorer, elle aussi, ses performances, ce n’est quand même dans de moindres proportions (lire ici).
Ceci dit, la centrale de Montreuil ne devrait pas pavoiser pour autant car même si la prise en compte des voix de la fonction publique restaure la CGT dans sa position de première organisation dans le pays, elle connaît un déclin continuel et sans doute irrémédiable tant la CGT perd du terrain jusque dans ses bastions qui étaient, il a encore peu de temps, jugés comme inexpugnables, faute sans doute de vouloir voir les nouvelles réalités du travail. Une situation analysée par Karel Yon, docteur en science politique et spécialiste du monde syndical dans un article très fouillé et en tout cas loin des « vérités » habituellement véhiculées sur le champ social. L’article est à lire ici.
Le miroir social