Je nâai rien mais vraiment rien contre les chefs dâentreprises, je nâai aucune attirance pour la lutte des classes, jâexplique dans les formations syndicales que je ne sais quel mĂ©tier exerceront mes enfants et que si lâun dâeux crĂ©e son entreprise ou en dirige une, ce nâest pas pour cela quâil deviendra un adversaire, un ennemi.
Chaque profession Ă sa noblesse, assumer des responsabilitĂ©s en entreprise comme ailleurs, est dâabord une charge qui gĂ©nĂšre nombre de devoirs et non un long fleuve tranquille.
Cela dit, les patrons ne sont pas toujours, loin de lĂ , de belles figures admirables, modĂšles dâintelligence, de courage, de probitĂ© et dâhumanitĂ©. Chez eux comme dans toute catĂ©gorie sociale, il y a des gens trĂšs bien et dâautres peu recommandables. Ce qui mâinquiĂšte ce sont les idĂ©es dĂ©fendues et rĂ©pandues par certains dirigeants du MEDEF.
Jâai participĂ© il y a quelques jours Ă une table ronde organisĂ©e par le mouvement patronal. Pour vanter les mĂ©rites des nouvelles technologies, Thibault LANXADE prĂ©sident du pĂŽle entreprenariat et croissance du MEDEF a pris lâexemple suivant : aux Etats-Unis, la sociĂ©tĂ© Coca-Cola a lancĂ© une application indiquant quand et oĂč un camion vient livrer du coca. Si câest prĂšs de chez vous, vous vous prĂ©cipitez et si vous ĂȘtes le premier arrivĂ©, vous dĂ©chargez le camion contre rĂ©munĂ©ration. Pour Monsieur LANXADE, nous sommes au cĆur du progrĂšs numĂ©rique, une telle application est un outil gĂ©nial pour les entreprises. Quand je lui fis remarquer quâen fait de modernitĂ©, cela ressemblait Ă©trangement, lâĂ©lectricitĂ© et lâĂ©lectronique en plus, Ă la pratique des annĂ©es 20 qui consistait sur les ports amĂ©ricains Ă sonner une cloche quand une cargaison Ă©tait Ă dĂ©charger, la foule des chĂŽmeurs se prĂ©cipitant pour tenter de gagner de quoi survivre, sa rĂ©ponse fut de cĂ©lĂ©brer le modĂšle Anglais du contrat 0 heure. Le contrat 0 heure est un contrat de travail oĂč lâengagement du patron est de faire travailler son subordonnĂ© quand il en a besoin. Une semaine vous pouvez ĂȘtre employĂ© 52 heures et la suivante 0 heure dâoĂč le nom du contrat.
Lâheureux bĂ©nĂ©ficiaire dâun tel arrangement est bien Ă©videmment rĂ©munĂ©rĂ© en fonction des seules heures effectuĂ©es. Comment peut-on ĂȘtre ordinairement intelligent, normalement cultivĂ©, titulaire dâun master de lâEcole SupĂ©rieure de Commerce de Paris et proposer comme modĂšle ce gouffre Ă prĂ©caritĂ©Â ?
Comment ne pas envisager les consĂ©quences sur la vie familiale, personnelle, associative ? Comment ne pas discerner lâimpact pour le pays ?
La prĂ©carisation du salariat, lâinstabilitĂ© des revenus dâune frange toujours plus grande de la population sont des Ă©lĂ©ments destructeurs dâune sociĂ©tĂ©. Comment trouver une location, obtenir un prĂȘt quand la garantie de revenu que lâon peut apporter est un contrat 0 heure ?
Ce type de raisonnement, ce schĂ©ma Ă©conomique, lâhistoire lâa dĂ©jĂ connu, câest sur le terreau des injustices qui en furent les consĂ©quences quâon put prospĂ©rer le National-Socialisme et le Communisme.
Sâils nâont pas de cĆur, ils pourraient au moins avoir un minimum de raison.
Joseph Thouvenel