Alors qu’Israël entame une campagne pour une quatrième dose de vaccins contre le Covid-19, le taux de vaccination en Afrique n’atteint pas les 8 %. Des inégalités criantes qui font surgir des variants et condamne le monde entier à subir la pandémie. La question de la levée des brevets, à laquelle l’Union européenne et les laboratoires sont opposés, est plus que jamais d’actualité avec le variant Omicron, venu d’Afrique du Sud, qui déferle sur le Vieux continent.
« Aucun pays ne pourra se sortir de la pandémie à coups de doses de rappel ». Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, n’a pas mâché ses mots, le 22 décembre lors d’une conférence de presse à Genève. Alors qu’à la veille de Noël, les pays du Nord multiplient les restrictions face à l’arrivée fulgurante du variant Omicron, le patron de l’OMS a mis en garde contre l’illusion selon laquelle il suffirait d’administrer des doses de rappel pour se sortir de la pandémie de Covid-19.
« Des programmes de rappel sans discernement ont toutes les chances de prolonger la pandémie, plutôt que d’y mettre fin, en détournant les doses disponibles vers les pays qui ont déjà des taux de vaccination élevés, offrant ainsi au virus plus de possibilités de se répandre et de muter », a-t-il ajouté. Il faut dire que les inégalités vaccinales sont particulièrement criantes.
« Aucun pays pauvre n’a encore introduit de programme de rappel »
56,5 % de la population mondiale a reçu une dose de vaccin contre le Covid-19, selon les chiffres de l’OMS, mais dans les pays à faible revenu, et notamment en Afrique, seulement 7,8 % de la population est vaccinée. Quand Israël entame sa campagne pour une quatrième dose, au Mali, au Niger, au Tchad… moins de 2 % de la population a reçu une première injection. Aujourd’hui, « aucun pays pauvre n’a encore introduit de programme de rappel », souligne le comité des experts de l’OMS en matière de politique vaccinale (SAGE).
En instaurant un système de vaccination à deux vitesses, renforçant une fracture entre pays développés et États à faible revenus, il semble impossible de venir à bout de la pandémie. « Nous ne pouvons pas vacciner l’hémisphère nord de la planète et ne pas vacciner l’hémisphère sud, puisque clairement, plus le virus continuera à passer d’une personne à l’autre, plus les chances de mutation seront là et plus nous pourrions avoir des variants qui deviennent préoccupants, voire même plus préoccupants qu’Omicron », a assuré sur le plateur de BFM Business Dan Staner, vice-président du laboratoire Moderna. Et Omicron en est l’illustration la plus forte. Ce variant, venu tout droit d’Afrique de Sud, frappe le continent européen obligeant par exemple les Néerlandais à se reconfiner tandis que l’Irlande impose un couvre-feu.
Financiarisation de la santé
L’Afrique du Sud aux côtés de l’Inde, milite justement pour la levée des brevets. Dès le début de la pandémie, avant l’arrivée des premières doses, l’OMS appelait déjà à ce que les droits de propriété intellectuelle tels que les brevets « ne créent pas d’obstacle à l’accès en temps utile à des produits médicaux abordables, y compris les vaccins et les médicaments ». Et pourtant, plus d’un an plus tard, les négociations patinent. Si une centaine d’États ont aujourd’hui rejoint la demande des deux pays, il faut un consensus des 164 États membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour y parvenir. Or le Canada, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Union européenne sont farouchement contre.
« Les pays du Nord continuent de protéger leur industrie, et donc leurs brevets, sous la pression des lobbys pharmaceutiques », décrypte dans Marianne, Nathalie Coutinet, économiste de la Santé. « Le vaccin est un produit hyper rentable et, parmi les actionnaires de ces industries, on trouve des fonds de pension comme BlackRock. Ce ne sont pas des philanthropes, mais des financiers. Ce sont eux qui influencent la stratégie de l’industrie pharmaceutique », ajoute-t-elle.
Pour l’instant, l’Union européenne privilégie le don de vaccins vers les pays du Sud plutôt que la levée des brevets. Fin octobre, dans le cadre du dispositif Covax, plus d’un milliard de doses ont ainsi été exportées vers des pays à faible revenus. Mais ce dispositif est critiqué. Le Nigeria a par exemple dû incinérer plus d’un million de doses fin décembre. « Les pays développés se sont procurés les vaccins et les ont ensuite stockés, puis au moment où ils étaient sur le point d’expirer, ils nous les ont proposés », a expliqué le directeur de l’Agence nationale en charge des programmes d’immunisation, le Dr Faisal Shuaib.
Marina Fabre Soundron @fabre_marina avec AFP