1) Modification des conditions d’application du statut de lanceur d’alerte.
- a) Une définition extensive du lanceur d’alerte.
Selon la loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016, le lanceur d’alerte est : « une personne physique qui signale ou divulgue, de manière désintéressée et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement » [2].
La définition est essentiellement maintenue par la proposition de loi du 21 juillet 2021, à la différence près que le lanceur d’alerte ne doit plus divulguer l’information « de manière désintéressée » mais « sans contrepartie financière » [3].
Autre changement apporté par la même proposition de loi : le lanceur d’alerte n’est plus obligatoirement le destinataire personnel de l’information, alors que la loi « Sapin 2 » l’exigeait.
L’exigence est en revanche maintenue lorsque l’information a été divulguée dans le cadre professionnel [4].
Enfin, selon la proposition de loi du 21 juillet 2021, le statut de lanceur d’alerte pourra être octroyé aux :
- personnes physiques ou morales de droit privé à but non lucratif qui aident un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation, appelées « facilitateurs » ;
- personnes physiques en lien avec le lanceur d’alerte qui risquent ;
- entités juridiques contrôlées par un lanceur d’alerte, pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien dans un contexte professionnel [5].
- b) Une précision des procédures de signalement.
Si la définition du lanceur d’alerte semble avoir été élargie, les conditions d’application du régime protecteur qui en découle reste extrêmement balisé.
Pour bénéficier de la protection attachée à ce statut, le lanceur d’alerte doit en effet respecter l’une des trois procédures labyrinthiques de signalement nommées « canal interne », « canal externe », ou « divulgation publique » [6].
- i) « Canal interne».
Le « canal interne » doit être mis en place dans l’ensemble des entreprises, quel que soit leur effectif [7].
Pour les entreprises de moins de 50 salariés, il se matérialise par un « registre spécial » dans lequel les alertes sont inscrites, l’employeur étant tenu d’informer le salarié des suites de celles-ci [8].
Pour les entreprises de plus de 50 salariés, un « registre spécial » et une procédure de recueil de signalement doivent être instituées : (Décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales).
La proposition de loi du 21 juillet 2021 ajoute que cette procédure de signalement interne sera reconnue :
- aux actionnaires, associés et tout titulaire de droits de vote au sein de l’assemblée générale de l’entité ;
- aux membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance ;
- aux collaborateurs extérieurs et occasionnels ;aux cocontractants de l’entité concernées, à leurs sous-traitants[9].
- ii) « Canal externe».
Le « canal externe » désigne le signalement auprès des autorités publiques telles que les autorités judiciaires, les institutions de l’Union européenne ou encore le Défenseur des droits.
La proposition de loi du 21 juillet 2021 semble ici simplifier cette procédure puisqu’elle supprime définitivement l’obligation – pour le moins curieuse – du lanceur d’alerte d’utiliser le « canal interne » avant de signaler des informations aux autorités publiques, obligation qui était imposée dans des cas spécifiques par la loi « Sapin 2 » [10].
Le rôle du Défenseur des droits dans le cadre de cette procédure est par ailleurs précisé et « renforcé » par la proposition de loi du 15 juillet 2021 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ».
Sous l’empire de la loi « Sapin 2 », ce dernier devait orienter l’auteur du signalement vers l’organisme compétent [11].
S’adresser au Défenseur des droits n’était donc pas suffisant pour bénéficier de la protection attachée au statut de lanceur d’alerte [12].
Désormais, la proposition de loi du 21 juillet 2021 prévoit l’obligation pour le Défenseur des droits de « recueillir, traiter, selon une procédure indépendante et autonome » tout signalement qui « relève de sa compétence » [13].
iii) « Divulgation publique ».
Enfin, en transposition de l’article 15 de la directive 2019/1937, la proposition de loi « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte » permet à ces derniers de dénoncer publiquement des informations dans les cas suivants :
- après avoir suivi « directement ou indirectement » les « canaux » internes et externes, sans qu’aucune mesure appropriée n’ait été prise dans des délais (précisés par décret) ;
- lorsqu’un signalement externe constitue un risque pour le lanceur d’alerte de subir des mesures de représailles (menaces de sanctions par exemple) ;
- lorsqu’un signalement externe ne permet pas au lanceur d’alerte de remédier efficacement à l’objet de la divulgation, en raison des circonstances particulières de l’affaire (risque de dissimulation ou de destruction de preuves, conflit d’intérêts entre l’autorité publique et l’auteur des faits) [14].
Ces situations s’ajoutent à celle prévue par la loi « Sapin 2 » qui autorise la divulgation publique d’informations, sans application des procédures interne et externe, « en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque préjudiciable irréversible » [15].
2) Effets du statut de lanceur d’alerte.
Concrètement, si les conditions d’octroi du statut de lanceur d’alerte sont respectées, ce dernier bénéficie de mécanismes de protection institués par la loi « Sapin 2 » tels que l’interdiction d‘être sanctionné, licencié ou de faire l’objet de mesures discriminatoires directes ou indirectes [16].
En complément, l’article L1121-2 sera introduit dans le Code du travail par la proposition de loi « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte » afin de définir un principe de non-discrimination en faveur :
- des lanceurs d’alerte ;
- de toutes personnes témoignant de bonne foi des faits constitutifs d’un délit, d’une crise ou de faits de harcèlement moral dont elle a eu connaissance ;
- des personnes ayant subi ou refusé de subir ces mêmes faits ;
- et, enfin aux travailleurs faisant usage de ce droit d’alerte en matière de santé et d’environnement[17].
Ces acteurs ne pourront pas faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, dans les domaines classiquement visés par l’article L1152-2 du Code du travail tels que la rémunération, la formation, le reclassement, la qualification, la classification, la promotion professionnelle, la mutation ou le renouvellement de contrat.
La proposition de loi « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte » prévoit d’ajouter à cette liste les horaires de travail et l’évaluation de la performance [18].
Enfin, aux nombreuses mesures de protection du lanceur d’alerte désormais énumérées à l’article L1132-3-3 du Code du travail, la proposition de loi du 21 juillet 2021 prévoit :
la nullité de plein droit de tout acte prévoyant la renonciation ou la limitation des droits relatifs à la protection des lanceurs d’alerte ;
- la possibilité pour le Conseil de prud’hommes de contraindre l’employeur à abonder son compte personnel de formation jusqu’à 8 000 euros ;
- le renforcement de la sanction des plaintes abusives ou dilatoires déposées contre un lanceur d’alerte (amende de 60 000 euros contre 30 000 euros sous la loi « Sapin 2», peines complémentaires d’affichage ou de diffusion de la décision de justice prononcée)[19].
La proposition de loi apporte en outre des précisions sur la responsabilité pénale et civile du lanceur d’alerte, responsabilité dont il est totalement exonéré [20].
Au moins, les intérimaires ayant dénoncé un délit ne verront pas l’absence de renouvellement de leurs contrats pour avoir témoigné, impunie!