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Jean Castex, produit non essentiel ?

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  • Publication publiĂ©e :novembre 3, 2020
  • Post category:Presse
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LE CLIN D’ƒIL DE SERGE RAFFY. Dans quel guĂȘpier s’est empĂȘtrĂ© notre Premier ministre en listant sans coup fĂ©rir les produits non-essentiels aux Français ? Les Gaulois rĂ©fractaires montent au front. Avec un slogan ravageur : l’essentiel est ailleurs.

par Serge Raffy

« Français, chers compatriotes, les seuls produits essentiels, c’est vous ! » On imagine Jean Castex, notre truculent et pusillanime Premier ministre entamer un discours Ă  la nation en usant de cette formule, certes dĂ©magogique, mais, au fond, d’une vĂ©ritĂ© absolue. Il pourrait ajouter que la polĂ©mique autour des produits non-essentiels, qui se rĂ©pand dans le pays comme une traĂźnĂ©e de poudre, n’est qu’un caprice d’enfants gĂątĂ©s, qu’il propose tout simplement aux Français de descendre dans les caves, de se calfeutrer du mieux qu’ils peuvent avec un kit de survie pour Ă©chapper au bombardement du Covid19.

« Il n’y a pas le choix, il faut reconfiner » : histoire secrĂšte d’une dĂ©cision dont personne ne voulait

Alors, vient la fatale question : de quoi est composĂ© un kit de survie ? En temps de guerre, on ne choisit pas. On prend juste de quoi se nourrir : du corned-beef en boĂźte, de l’eau, du lait en poudre, une ration de cafĂ© ou de thĂ©, une brosse Ă  dents et du dentifrice, une couverture, et Ă©ventuellement du matĂ©riel pour faire une toilette sommaire. En temps de guerre, on ne discute pas les consignes du gouvernement. On les applique Ă  la lettre, les yeux fermĂ©s, pour sauver sa peau et celle des membres de sa famille. Or, sommes-nous dans une situation qui justifie cet Ă©tat d’alerte qui vise Ă  fermer les petits commerces, comme en avril dernier ? Si l’on Ă©coute le chef de l’Etat, nous sommes dans cette situation. Alors, pourquoi tout ce remue-mĂ©nage, ces frondes municipales, ces grĂšves de la faim de nombreux boutiquiers ? Les raisons sont multiples.

Donner du sens à l’essentiel

La premiĂšre est sans aucun doute la perte de confiance envers l’Etat, jugĂ© trop technocratique, trop Ă©loignĂ© des prĂ©occupations quotidiennes des Français. La seconde est plus profonde, plus « essentielle » si j’ose dire. Elle est la rĂ©sultante d’une transformation profonde de notre citoyennetĂ©, de plus individualiste, de plus en plus Ă©gotiste. Nous sommes devenus des citoyens-clients, des consommateurs obnubilĂ©s par l’essence de nos dĂ©sirs et qui en veulent pour leur argent. Je paye, donc je suis. Ce qui est essentiel pour moi n’est pas forcĂ©ment ce qui est essentiel pour l’autre. Des tĂ©moignages Ă  chaud diffusĂ©s sur les ondes sont Ă©difiants. Pour certains, acheter des fringues est vital. Pour d’autres, bĂ©nĂ©ficier des installations de salles de sports est indispensable Ă  leur Ă©quilibre mental. Et, bien sĂ»r, pour de nombreux avis, l’incontournable, et plus indispensable, besoin de baguenauder dans une librairie, Ă  la recherche de la perle rare, le livre magique qui leur permettra de rĂ©sister moralement Ă  cet enfermement mental dans lequel nous plongeons avec rĂ©signation.

Dessin de Tardi en hommage aux libraires

Ah, « l’essentiel » ! Les professeurs de Lettres et de philosophie devraient se jeter sur ce sujet hautement d’actualitĂ© et le proposer Ă  leurs Ă©tudiants. Avec un dĂ©bat sous-jacent : qu’est-ce que le moteur de la vie ? Le steak salade ou l’amour ? La lecture de « Cent Ans de solitude », de Gabriel Garcia Marquez, ou la consultation frĂ©nĂ©tique de photos rigolotes sur Instagram ? Un litre d’essence sans plomb ou une marche en forĂȘt ? Terrible mot que celui d’essentiel. Il renvoie, hĂ©las, Ă  son cousin sĂ©mantique, l’essentialisme, concept anthropologique utilisĂ© pour catĂ©goriser les populations, les enfermer dans des boĂźtes, les renvoyer Ă  leur « essence », mot douteux d’un point de vue politique, mais qui s’incruste dangereusement dans notre RĂ©publique qui a mis des siĂšcles Ă  jeter aux orties l’origine des ses citoyens.

Heureusement, notre bon Premier ministre n’a pas Ă  se soucier de ce dĂ©bat-lĂ . Il a dĂ©jĂ  fort Ă  faire pour se dĂ©pĂȘtrer de celui des produits non-essentiels. Il a tout intĂ©rĂȘt Ă  rester Ă  l’étal « Jouets et dĂ©coration ». Mais pourra-t-il tenir longtemps dans cette posture de PĂšre fouettard des rayons des petits et grands magasins ? A moins de dĂ©crĂ©ter une mobilisation gĂ©nĂ©rale plus claire, plus dĂ©terminĂ©e, avec kit de survie Ă  l’appui, il est condamnĂ© Ă  lĂącher du lest. Et Ă  donner du sens Ă  l’essentiel. Pour ce qui me concerne, mon essence personnelle s’appelle l’amour des mots. Elle se trouve au rayon « librairie » 

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