Dénigrer son employeur par e-mail peut conduire au licenciement pour faute grave

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  • Publication publiée :janvier 12, 2012
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Juridique publié le 01/03/2011, Auteur : Maître HADDAD Sabine
 
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La chambre Sociale de la cour de Cassation a rendu trois arrêts intéressants le 2 février 2011, pourvoi N° 09-72313,N° 72449 et N° 72450, qui concernent la nature des messages irrévérencieux du salarié sur l’employeur susceptibles d’être invoqués dans le cadre d’une procédure de licenciement pour faute grave.
Rappelons qu’en cette matière l’ordinateur de bureau et la messagerie professionnelle fournis par l’employeur, utilisés durant le temps de travail et sur le lieu de travail ne permettent pas de caractériser les messages comme privés.
 
 
À contrario les e-mails privés échangés relèveraient du secret des correspondances privées au sens de l’article 8 de la Convention Européenne des droit de l’Homme ; 9 du code civil protégé par l’article 226-15 du code pénal.
 

I – La validation de la faute grave à travers l’analyse des 3 arrêts

A) Pourvoi N°09-72313 pour un courriel litigieux malencontreusement transmis par le salarié en copie à une salariée de l’entreprise, et dont l’employeur en a eu connaissance par le fait de l’intéressé

La cour considère que le salarié qui envoie un message électronique en relation avec son activité professionnelle, et durant son temps de travail, n’envoie pas de message privé.

De ce fait, il pourra être utilisé dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

L’employeur qui constate après accès légitime à la messagerie de son salarié, que ce dernier l’a insulté dans un e-mail et annoncé son absence non autorisée alors même qu’il venait de faire l’objet d’une mise à pied disciplinaire pour des absences injustifiées, peut prononcer le licenciement pour faute grave du salarié.

Ainsi, cet arrêt de rejet valide le licenciement disciplinaire d’un salarié en ces termes:

 »La cour d’appel, qui a relevé que le courriel litigieux avait été malencontreusement transmis par le salarié en copie à une salariée de l’entreprise, a constaté que l’employeur en avait eu connaissance par le fait même de l’intéressé ;

Attendu, ensuite, que le message, envoyé par le salarié aux temps et lieu du travail, qui était en rapport avec son activité professionnelle, ne revêtait pas un caractère privé et pouvait être retenu au soutien d’une procédure disciplinaire à son encontre ;

 Attendu, enfin, que la cour d’appel, qui a relevé que le salarié avait ainsi insulté son employeur et annoncé son absence non autorisée alors même qu’il venait de faire l’objet d’une mise à pied disciplinaire pour des absences injustifiées, a pu, sans avoir à effectuer une autre recherche, retenir que le comportement du salarié justifiait la rupture immédiate de son contrat. »

B) Pourvois N°09-72449, et N° 72450 suite à des e-mails échangés entre salariés découverts par l’employeur

Dans les deux cas, il s’agissait d’échange d’e-mails injurieux, irrévérencieux, entre salariés à l’égard de l’employeur, qui ont fondé leur licenciement pour faute grave.

Ainsi des salariés amis, dans le cadre d’un échange de courriels provocateurs n’ayant pour objet que la simple mention « info », ont transmis courriels en rapport avec l’activité professionnelle des salariés , et de ce fait non couverts par le secret de la correspondance

 C) Que retenir globalement ?

1) L’accès de la messagerie professionnelle ne constitue pas une atteinte à la vie privée de son salarié, puisqu’elle vise des courriers « rattachables à l’activité professionnelle ».

Rappelons que pour la cour de cassation:

seule la mention « personnel » confère au fichier (dossier) la protection liée au respect dû à la vie privée.

 Soc,21 octobre 2009 , N° pourvoi: 07-43877,a pu juger au visa de l’article 9 du code civil s’agissant de dossiers informatiques portant de simples initiales ( et non la mention « personnel » que

« Les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé ; Qu’en statuant comme elle a fait, alors qu’il résultait de ses propres constatations que le répertoire n’était pas identifié comme personnel, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

2) Ces courriers d’insultes et/ ou de dénigrement, rendent bien fonder une sanction disciplinaire, laquelle peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave.

 II – Présentation de Soc, 2 février 2011, pourvoi N° 09-72313
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Colmar, 6 mars 2008), que M. X…, qui avait été engagé par la société Piscines Waterair en qualité de téléacheteur suivant contrat à durée déterminée du 2 mai au 28 octobre 2005, a été licencié pour faute grave le 29 juillet 2005 pour avoir, dans un courriel adressé à sa compagne, insulté sa hiérarchie et annoncé son absence à son poste de travail l’après-midi, malgré une précédente sanction disciplinaire pour absence injustifiée ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de dommages-intérêts au titre de la rupture ;

Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté de sa demande alors, selon le moyen :

1) – Que si l’employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de surveillance clandestin et à ce titre déloyal ; que M. X… faisait valoir, en ses écritures d’appel, délaissées de ce chef, que l’employeur n’avait pu prendre connaissance du courriel litigieux que par la mise en œuvre d’un ordre de transmission automatique dont ni l’existence, ni le moyen de le neutraliser, n’avaient été portés à sa connaissance ; que la cour d’appel qui n’a pas répondu à ce chef pertinent des écritures d’appel de M. X…, dont était susceptible de se déduire l’illicéité des moyens de preuve avancés par l’employeur à son encontre, a entaché son arrêt d’un défaut de réponse à conclusions et l’a privé de motif en violation de l’article 455 du Code de procédure civile ;

2) – Que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée et au secret des correspondances dont l’employeur ne peut prendre connaissance ni utiliser à son encontre ; que la cour d’appel ne pouvait écarter le caractère privé du courriel litigieux, tel que le revendiquait M. X…, par un motif inopérant déduit de ce que celui-ci avait été involontairement communiqué à un tiers, sans s’expliquer sur son objet et sa destinataire ; qu’en l’état, elle a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 9 du Code de procédure civile, de l’article 9 du Code civil et de l’article L1121-1 du Code du travail ;

3) – Qu’un fait de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement disciplinaire ; que la cour d’appel ne pouvait qualifier de faute grave l’injure non individualisée contenue dans un courriel destiné à un tiers dans l’entreprise sans caractériser le trouble suscité en celle-ci ; qu’à défaut, elle a privé sa décision de base légale au regard de l’article L1243-1 du Code du travail ;

4) – Que le fait pour un salarié de s’en tenir aux prescriptions d’un médecin qu’il a consulté n’a pas un caractère fautif, en l’absence d’un certificat de complaisance ; que la cour d’appel qui constate que l’absence, même annoncée, de M. X…, a été justifiée par la production d’un certificat médical ne pouvait à nouveau, sans priver sa décision de toute base légale au regard de l’article L1243-1 du Code du travail, déduire de cette absence l’existence d’une faute grave sans caractériser le caractère complaisant du certificat médical produit par M. X… ;

Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel, qui, sans avoir à entrer dans le détail de l’argumentation des parties, a relevé que le courriel litigieux avait été malencontreusement transmis par le salarié en copie à une salariée de l’entreprise, a constaté que l’employeur en avait eu connaissance par le fait même de l’intéressé ;

Attendu, ensuite, que le message, envoyé par le salarié aux temps et lieu du travail, qui était en rapport avec son activité professionnelle, ne revêtait pas un caractère privé et pouvait être retenu au soutien d’une procédure disciplinaire à son encontre;

Attendu, enfin, que la cour d’appel, qui a relevé que le salarié avait ainsi insulté son employeur et annoncé son absence non autorisée alors même qu’il venait de faire l’objet d’une mise à pied disciplinaire pour des absences injustifiées, a pu, sans avoir à effectuer une autre recherche, retenir que le comportement du salarié justifiait la rupture immédiate de son contrat ;

 
Que le moyen, qui n’est fondé dans aucune de ses branches, doit être rejeté ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi ;
 
 
III – Présentation de Soc, 2 février 2011, pourvoi N° 09-72349
Sur le moyen unique :
Vu l’article 9 du code civil et le principe du secret des correspondances privées ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X…, qui avait été engagé le 14 mars 2005 par la société Securitas France en qualité de chef de poste sécurité incendie puis promu le 1er mars 2006 chef de site, a été licencié le 14 novembre 2006 pour faute grave, aux motifs de divers manquements professionnels et de son comportement agressif et irrespectueux à l’égard de son supérieur hiérarchique et de l’échange à ce sujet de courriels provocateurs avec une autre salariée de l’entreprise, également licenciée à cette occasion ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de paiement de diverses indemnités au titre de son licenciement ;

Attendu que pour condamner l’employeur au paiement d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée, l’arrêt énonce que si le contenu du courriel envoyé ainsi que sa réponse apparaissaient en relation avec l’entourage du salarié, ces échanges ne revêtaient pas un caractère professionnel, s’agissant d’une conversation totalement privée dont la liberté de ton et les outrances éventuelles relevaient uniquement de la vie personnelle et intime à laquelle le salarié a droit même sur son lieu de travail, les propos tenus, destinés à rester entre les deux interlocuteurs et non pas à être diffusés, ne pouvant avoir pour effet de nuire à l’entreprise et ne pouvant être admis comme preuve d’un grief ;

Qu’en statuant ainsi par des motifs inopérants, alors qu’elle avait relevé que le courriel litigieux était en rapport avec l’activité professionnelle du salarié, ce dont il ressortait qu’il ne revêtait pas un caractère privé et pouvait être retenu au soutien d’une procédure disciplinaire, la cour d’appel a violé le texte et le principe susvisés ;
 
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE…
 
sabine haddadMaître HADDAD Sabine
Avocate au barreau de Paris

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