Salarié(e)s, sachez gagner votre procès pour harcèlement moral en 2022..!
Publié le 12/12/2022 Par Maître Judith Bouhana- Avocat Spécialiste
Le droit du travail s’est consacré très tôt au harcèlement moral en entreprise, il y a plus de 20 ans, intégrant dans le Code du travail les définitions et les sanctions du harcèlement moral.
Rappelons qu’en matière de harcèlement moral, il appartient aux salariés d’établir les faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et à l’employeur de prouver que ces agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au-delà de cette définition jurisprudentielle, comment s’articulent concrètement les éléments de preuve que le salarié doit fournir au juge pour obtenir la sanction du harcèlement moral qu’il a subi (1) et dans quelles circonstances les éléments « objectifs » de l’employeur sont-ils écartés par le juge ? (2).
1. Les preuves du harcèlement moral retenu par les Juges en 2022
- Cour d’appel de Grenoble 30 juin 2022 RG n°20/03065 :
Une technicienne de paie dénonce le harcèlement moral justifiant selon elle la prise d’acte de son contrat de travail.
La cour retient :
– la surcharge de travail de la salariée établie par des attestations de ses anciens collègues de travail,
– l’accomplissement régulier d’heures supplémentaires,
– les comptes rendus d’entretien annuel dans lesquels la salariée signale « un manque de temps » et « se sent seule au monde dans sa surcharge de travail pas d’appui de ses hiérarchiques »,
– le travail effectué pendant son arrêt maladie,
– l’attribution d’une charge de travail supplémentaire qu’elle a contestée,
– une convocation à un entretien préalable en vue de son licenciement après avoir dénoncé sa charge de travail,
– le non-paiement de ses heures supplémentaires.
Enfin, la salariée justifiait de la dégradation de son état de santé par des certificats médicaux de son médecin traitant et du médecin du travail.
Le harcèlement moral est suffisamment caractérisé pour les Juges peu important qu’il n’ait pas été dénoncé par la salariée durant l’embauche.
- Cour d’appel de Paris pôle 6 chambre 8, 17 mars 2022 RG n°18/08528 :
Une salariée acheteur informatique et télécom invoque le harcèlement moral dont elle est victime.
Les éléments de fait présentés par la salariée étaient les suivants :
– le refus soudain du renouvellement du temps partiel dont elle bénéficiait jusque-là,
– l’envoi de courriers électroniques tardifs et pendant ses arrêts de travail,
– la demande tardive de son employeur de rentrer 2 jours plus tôt de ses congés d’été,
– une modification soudaine des appréciations faites sur son travail qu’elle a contesté,
– la pression à la mobilité non sollicitée,
– des directives de sa hiérarchie contradictoires, une rétrogradation dans ses fonctions,
– une mise à l’écart justifiée par une différence entre le nombre de courriers électroniques avant et après mise à l’écart,
– une dégradation concomitante de son état de santé et un avis du médecin du travail préconisant « une vigilance particulière et un changement de poste » en raison de son état de santé,
– un compte-rendu du CHSCT sur un management qui semble inadapté.
Peu importe que la salariée ait conclu un contrat à temps plein avec un nouvel employeur 15 jours après sa prise d’acte, la Cour retient l’existence du harcèlement moral exercé à son encontre.
- Cour d’appel d’Amiens 30 juin 2022 RG n°21/01803 :
Il s’agit cette fois d’un Responsable agronomique préconisateur victime d’un infarctus du myocarde reconnu comme accident du travail qui dénonce le harcèlement moral et obtient gain de cause.
Le salarié présentait à l’appui du harcèlement moral reconnu par les juges les faits suivants :
– un courrier du contrôleur de travail à la CPAM relevant la privation du droit à la déconnexion du salarié pendant son congé,
– les procès-verbaux d’anciens salariés qui évoquaient « des changements profonds dans les pratiques professionnelles dus à un management beaucoup plus directif avec l’instauration d’objectifs et un formalisme qui n’existait pas auparavant … l’attitude « discriminante » du supérieur à l’égard du salarié qu’il l’attaquait en réunion usant de formules comme « T’es pas bon » »,
– un signalement adressé à la DIRECCTE par un autre salarié sur les pressions du supérieur hiérarchique,
– un procès-verbal de constat d’huissier établissant 8 appels téléphoniques reçus par le salarié en 20 jours durant une période de congé et sur une seule journée 3 messages en moins d’une heure,
– des éléments médicaux (lettre de liaison de l’hôpital, certificat médical rectificatif établi pour accident du travail).
2. Voyons maintenant dans quelles mesures les juges écartent les éléments « objectifs » de l’employeur pour reconnaître le harcèlement moral du salarié en 2022.
- Cour d’appel de Grenoble 30 juin 2022 RG n°20/03065 :
S’agissant de la technicienne de paie, la Cour relève l’absence de réaction de l’employeur aux alertes de la salariée sur sa surcharge de travail et l’absence de réponse de l’employeur aux faits justifiés par la salariée :
« L’employeur ne justifie pas des mesures prises à la suite de l’audit… préconisant de donner plus de moyens au responsable paie…. Il ne présente aucune explication à l’absence de mise en œuvre en accompagnement à la gestion du temps de travail…tel que préconisait par la formatrice ».
Mais aussi la surcharge de travail de la salariée :
« (L’association) ne présente aucune explication au fait que la salariée assumait la responsabilité du service en plus de son portefeuille de technicienne…l’employeur produit des échanges de courriels qui établissent que la salariée avait annoncé, dès son arrêt de travail, qu’elle avait emporté son ordinateur portable pour travailler pendant son arrêt de travail…l’employeur a manqué de payer les heures supplémentaires effectuées par la salariée alors qu’il ne pouvait en ignorer l’existence…ne présente aucune explication au fait… (qu’elle) ajoutait une tâche supplémentaire à la salariée… ».
- Cour de Cassation chambre sociale 6 juillet 2022 n°21-12204 :
Dans cette décision concernant un Professeur permanent, les Juges avaient écarté de leur analyse 3 éléments (dont retrait de bureau, suppression des tickets restaurants, etc) sans vérifier que l’employeur les justifiait objectivement de telle sorte qu’ils ne pouvaient être écartés comme preuve de harcèlement moral.
Or les juges doivent prendre en compte tous les éléments présentés par le salarié qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et vérifier si l’employeur les justifie par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, ce qui n’était pas le cas s’agissant des 3 éléments, le harcèlement moral ne pouvait donc être écarté (en savoir plus Salariés, réagissez au harcèlement moral dont vous êtes victimes en 2019).
- Cour d’appel d’Amiens 30 juin 2022 RG n°21/01803 :
Concernant le Responsable agronomique préconisateur, l’employeur communiquait un compte-rendu d’enquête qu’il avait effectué concluant à l’absence de harcèlement moral.
Analysant cette enquête, la Cour relevait :
– « que l’audition de certains salariés… que (le salarié) souhaitait voir entendre, a été d’emblée écartée… »,
– « que le médecin du travail n’a pas été associé à l’enquête mais simplement convoqué comme « témoin », ce qu’il ne pouvait que décliner étant tenu au secret professionnel…. »,
– « que plusieurs de ces salariés considèrent le management du (supérieur hiérarchique) directif voire autoritaire même s’ils ne le qualifient pas de harcelant…. »,
– « que les salariés entendus ont tous été auditionnés en suivant un questionnaire standard constitué de questions fermées de nature à orienter les réponses… »,
– qu’aucune comparaison du chiffre d’affaires du salarié par rapport à d’autres collègues ne vienne « conforter le bien fondé des appréciations défavorables portées sur ses résultats et son implication ni ne justifie objectivement de la nécessité d’appeler le salarié à plusieurs reprises durant ses vacances ».
Dans ces conditions, la Cour a « relativisé les conclusions » du rapport d’enquête du CHSCT et considéré que les éléments présentés par l’employeur ne venaient pas objectivement contredire le harcèlement moral.
3. Pour finir quelques explications sur la prescription favorable au salarié en 2022.
Affaibli, le salarié n’est souvent pas en mesure d’engager immédiatement une procédure à l’encontre de son employeur pour harcèlement moral.
La prescription pour agir en justice est de 5 ans (Article 2224).
Interprétant la loi, les juges ont étendu la prescription considérant qu’elle ne commence à courir qu’à partir du dernier acte de harcèlement allégué de telle sorte que tous les actes de harcèlement moral établis antérieurement doivent être pris en compte par les juges pour apprécier l’étendue et la gravité du harcèlement subi.
Cet arrêt illustre de manière simple et concrète cette notion de harcèlement étendu :
Un salarié invoquait des actes de harcèlement en deux parties : la première circonscrite à l’année 2005 puis un second épisode allant de 2013 à 2016.
La Cour d’Appel avait considéré qu’en l’absence de répétition du harcèlement moral entre 2006 et 2012 le salarié ne pouvait justifier d’un harcèlement moral remontant aux faits de l’année 2005.
La Cour de Cassation casse l’arrêt en rappelant que « le salarié soutenait avoir été victime d’agissement de harcèlement moral jusqu’en 2016, qu’il a saisi le Conseil de Prud’hommes le 5 septembre 2016, son action en indemnisation du harcèlement moral n’était pas prescrite et il appartenait dès lors à la Cour d’Appel d’analyser l’absence des faits invoqués par le salarié quelle que soit la date de leur commission ».