RÉSILIATION JUDICIAIRE DU CONTRAT DE TRAVAIL : LES MANQUEMENTS GRAVES RETENUS PAR LES JUGES EN 2021

Mode alternatif de rupture du contrat de travail, la résiliation judiciaire est une création des Juges qui ne cesse d’évoluer au gré de ce qui est jugé ou non comme « manquements suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur ».

A la différence de la prise d’acte (en savoir plus : Salariés, sachez prendre acte de la rupture de votre contrat de travail), le contrat de travail n’est pas rompu lorsque vous saisissez le Conseil de Prud’hommes, jusqu’à ce qu’un jugement soit rendu.

Voici une analyse en 2 parties des principales décisions rendues en matière de résiliation judiciaire afin de vous permettre en clairvoyance d’envisager la résiliation judiciaire de votre contrat de travail.

Cette première partie est consacrée aux manquements liés à la rémunération du salarié.

I. Lorsque le salaire n’est pas payé.

Une collaboratrice d’une étude de notaires conteste entre autres l’absence de paiement intégral d’une prime exceptionnelle versée en 2013 et l’inégalité de rémunération à hauteur de 180 euros par mois.

La Cour d’Appel retient ces 2 manquements qu’elle considère suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Dans son pourvoi en cassation, l’employeur conteste vainement leur gravité au regard des 4 autres griefs non retenus par la Cour dont le harcèlement moral et la violation de l’obligation de sécurité.

Confortant l’arrêt de la Cour d’Appel, la Cour de Cassation juge que les deux manquements reprochés étaient suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de la salariée [1].

Un Responsable financier obtient la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour défaut de paiement de sa prime de 1 833 euros sur deux années et retards de diligences de l’employeur suite à son arrêt de travail.

L’employeur relevait devant la Cour de Cassation que la prime non réglée représentait « une très faible part de la rémunération du salarié » et que les autres manquements étaient « entièrement régularisés au jour où la Cour d’Appel a statué et réparés par une indemnité de 500 euros » de telle sorte que selon lui aucun manquement suffisamment grave n’était justifié.

Mais la Cour de Cassation approuve les Juges d’appel d’avoir prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail observant que les deux manquements relevés (absence de paiement d’une prime puis saisine tardive de l’assureur pour prise en charge de l’arrêt de travail du salarié) avaient « conduit à une baisse notable des revenus de ce dernier, ainsi que l’absence d’explication de l’employeur sur son retard à établir l’attestation de salaire, l’ensemble constituant les manquements d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail ».

Ainsi, la régularisation du manquement n’écarte pas automatiquement sa gravité, le Juge pouvant malgré cette régularisation prononcer la résiliation judiciaire au regard de leur gravité [2].

Ici deux éléments viennent justifier la position sévère de la Cour de Cassation malgré la régularisation : « la baisse notable des revenus du salarié » et « l’absence d’explication » de l’employeur sur son retard.

Un Ingénieur d’affaires refusant de signer un avenant présenté par son employeur sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail puis il est licencié 3 mois plus tard pour insuffisance professionnelle.

Pour rappel, lorsque le salarié fait une demande de résiliation judiciaire avant de faire l’objet d’un licenciement, les Juges doivent d’abord statuer sur la résiliation judiciaire et c’est seulement s’ils ne prononcent pas la rupture du contrat de travail pour ce motif qu’ils statuent ensuite sur l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

Le salarié indiquait que son employeur avait cessé le versement de sa prime variable, suite à son refus de conclure le nouvel avenant proposé, absence de paiement contesté expressément par courriers du salarié.

La Cour d’Appel relève que l’employeur a exercé une « pression disproportionnée et déloyale » sur le salarié pour le pousser à signer le nouvel avenant.

La Cour prononce donc la résiliation judiciaire au regard de ce « grave manquement réitéré… de l’employeur à ses obligations contractuelles de payer trimestriellement la rémunération variable, laquelle ne sera partiellement régularisée que postérieurement au licenciement » [3].

Pour le cas d’un Maçon qui a obtenu la résiliation judiciaire de son contrat de travail car son salaire n’est pas versé « au juste taux horaire applicable, pas plus que ses indemnités de trajet et de transport, manquements auxquels s’ajoute un non respect à l’obligation de sécurité pendant plusieurs années » [4].

Concernant un VRP exclusif dont les commissions spéciales ne sont pas versées [5].

La résiliation judiciaire est prononcée pour absence de paiement de ses commissions sur plusieurs années.

Pourtant l’employeur communiquait des données telles que : « un tableau récapitulatif ainsi que les chiffres d’affaires réalisés ».

Mais la Cour a jugé que ces éléments ne « reposaient pas sur des données comptables avérées ou des justificatifs (bons de commande etc.) permettant de vérifier la véracité de ces chiffres  ».

Décision conforme à la jurisprudence selon laquelle, il appartient à l’employeur de justifier du paiement de la rémunération variable du salarié (en savoir plus : Salariés, obtenez le paiement de votre prime d’objectif 2019).

II. 2 exemples de décisions rejetant la résiliation judiciaire des contrats de travail.

Cour d’Appel d’Aix en Provence 14 janvier 2021 RG n°20/005139 :
«  L’inobservation ponctuelle de la durée du travail et son incidence sur paiement de quelques heures complémentaires, ainsi que le défaut de maintien du salaire durant la maladie de la salariée, outre le retard dans la délivrance de documents sociaux…ne sont pas des manquements… suffisamment graves…lesdits manquements n’ayant de surcroît été invoqués que concomitamment au licenciement  ».

Cour d’Appel de Versailles 17 juin 2021 RG n°19/02096 :
« Le manquement de l’employeur consistant dans l’omission de notifier des objectifs et de régler la part variable est démontrée ; néanmoins, compte tenu du montant très accessoire de cette rémunération variable par rapport à la rémunération fixe du salarié et alors que (le salarié) a poursuivi l’exécution de son contrat de travail plusieurs années après cette omission, ce manquement n’est pas suffisamment grave … ».

On retiendra de ces 2 décisions contraires la notion de manquement ponctuel au paiement des salaires, pour des montant « très accessoires », ainsi que la poursuite par le salarié de ses relations de travail durant plusieurs années, obstacles au prononcé de la rupture du contrat de travail aux torts de l’entreprise.

III. Lorsque la rémunération est modifiée unilatéralement par l’employeur.

Une commerciale collectivités en arrêt de travail sollicite la résiliation judiciaire de son contrat aux motifs retenus d’une modification de sa rémunération variable par son employeur alors même que sa prime « représente une part importante de sa rémunération ».

Ainsi l’employeur avait décidé seul de modifier de 85% à 90% des objectifs atteints le déclenchement du seuil à partir duquel la prime d’objectif de 10 000 euros prévu au contrat de travail était versée au salarié [6].

Les Juges condamnent généralement les modifications unilatérales substantielles de la rémunération du salarié : (en savoir plus : 11 décisions à connaitre pour obtenir le paiement de sa prime d’objectif en 2021).

Dans le même sens :« Le salarié indique que le taux de majoration des heures supplémentaires a été diminué de 25% à 10% à compter du 1er janvier 2015…

 L’employeur n’explique pas le passage du taux de 25% à 10%… ».

Il est a noté que dans cette décision la Cour s’est également fondé sur la nullité d’une clause de mobilité imprécise quant à son étendu géographique pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail [7].

IV. Lorsque le salarié est déclassifié.

Un salarié en contrat d’apprentissage durant 3 années devenu vendeur conteste sa déclassification et le refus de son employeur d’organiser sa visite médicale de reprise suite à son arrêt de travail.

La Cour prononce la résiliation judiciaire retenant « un classement erroné du salarié pendant plus de 4 ans dans un poste de vendeur de catégorie 1 correspondant à un vendeur ayant moins de 3 mois de pratique professionnelle ainsi que le refus… d’organiser la visite médicale de reprise » [8].

Après les atteintes portées à la rémunération du salarié, nous analyserons dans une seconde partie à venir les manquements graves retenus en 2021 en matière d’obligation de sécurité, d’inaptitude, de surcharge de travail et de harcèlement.

– V. Lorsque l’inaptitude et la maladie du salarié sont considérés comme manquements graves.

1er arrêt [1] :

S’agissant d’une Secrétaire comptable en arrêt maladie déclaré inapte qui sollicite la résiliation judiciaire de son contrat puis prend acte de la rupture de son contrat de travail (en savoir plus sur la prise d’acte : La prise d’acte du salarié en 2019).

La salariée soulevait 4 manquements dont 2 sont retenus par la Cour : l’absence de reprise du paiement de salaire 1 mois après l’avis d’inaptitude et le manquement à l’obligation de sécurité. La Cour précise que ces 2 manquements ont eu des « conséquences sur les moyens de subsistance et la santé de la salariée ».

Comme en matière de rémunération, (en savoir plus : Résiliation judiciaire du contrat de travail : les manquements graves retenus par les juges en 2021 (1ère partie)), la précarité financière du salarié entre en ligne de compte pour apprécier la gravité du manquement.

Dans le même sens 2ème arrêt [2] :

L’absence de visite de reprise est un grave manquement retenu par les juges, l’employeur a l’obligation essentielle d’organiser la visite de reprise du salarié en invalidité 2ème catégorie dès qu’il en fait la demande.

3ème arrêt [3] :

L’absence de visite d’embauche et de reprise :

L’employeur d’une Ouvrière en maroquinerie en arrêt maladie n’a pas organisé la visite d’embauche et de reprise dans les délais légaux, manquements auxquels s’ajoutent le défaut de paiement de sa rémunération contractuelle et le maintien de son salaire durant ses arrêts de travail, graves manquements justifiant pour la Cour la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée.

4ème décision [4] :

Une Serveuse en arrêt maladie ne parvient pas à obtenir de son employeur la remise de ses attestations de salaire, malgré ses relances, ainsi n’obtempèrera qu’après saisine par la salariée de l’inspection de travail.

La Cour prononce la résiliation judiciaire en constatant que la salariée prouve les démarches qu’elle a dû effectuer auprès des différents organismes ou institution pour obtenir des subsides ou des aides, confirmant ainsi la situation de grande précarité dans laquelle l’a placé l’employeur.

Retenez donc la nécessité de justifier non seulement des manquements graves de votre l’employeur mais également des conséquences de ces manquements sur votre situation financière et sur votre état de santé (justifiez de vos prêts bancaires, et par attestations des aides familiales/amicales reçues, de vos ordonnances, certificats médicaux, arrêts maladies etc.).

– VI. Lorsque le non-respect de l’obligation de sécurité de l’employeur justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail [5].

Un Vendeur est en arrêt maladie après une grave altercation avec un salarié.

Il demande aux Juges de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail puis fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude.

Il invoque devant la Cour les manquements de son employeur à son obligation de sécurité compte tenu de l’agression subie sur son lieu de travail et de l’absence de mesures prises pour lui garantir la reprise de son travail dans des conditions sereines.

Il produit sa main courante où il explique qu’il a été attrapé par la gorge et giflé par son collègue et indique que son employeur a tardé à effectuer la déclaration d’accident de travail obtenue après des demandes répétées de sa part.

Il justifie que l’agressivité de son collègue était connue de la direction qui n’ignorait pas la « multiplication des altercations et des violations ».

La Cour relève que la société n’a ni convoqué ni sanctionné le salarié violent « aucune mesure n’a été prise… ni préalablement ni postérieurement à l’agression de nature à éviter le renouvellement de tels agissements, l’agresseur du salarié travaillant toujours dans le même magasin ».

On relèvera ici que la résiliation judiciaire a été prononcée en l’absence de sanction par l’employeur de l’auteur de l’agression et sa connaissance du comportement antérieur violent du salarié auteur des faits, comme autant de facteurs confortant la gravité des manquements reprochés.

– VII. Lorsque la surcharge de travail justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail.

  1. Les heures supplémentaires.

– Et la charge de la preuve incombant au salarié et à l’employeur.

Le contentieux des heures supplémentaires tient une place prépondérante dans les ruptures de contrat prononcées aux torts des employeurs (en savoir plus : Salariés, sachez obtenir le paiement de vos heures supplémentaires) [6].

Un Technico-commercial sollicite le règlement de ses heures supplémentaires à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Il en est débouté aux motifs que les pièces qu’il produit « ne permettaient pas de déterminer les horaires réellement accomplis par le salarié au cours de ses tournées » et que son décompte « est insuffisamment précis en ce qu’il ne précise pas la prise éventuelle d’une pause méridienne ».

Mais en matière d’heures supplémentaires, la preuve n’est pas uniquement à la charge du salarié qui doit présenter des éléments suffisamment précis l’employeur devant alors répondre aux éléments qu’il communique.

C’est exactement ce que rappelle la Cour de Cassation en accueillant le pourvoi du salarié aux motifs que « le salaire présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre… ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la Cour d’Appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé concernant la charge de la preuve des heures supplémentaires » (art. L3171-4 du Code du travail).

– Le délai d’un an pour dénoncer les faits n’est pas trop ancien [7].

Une Assistante administrative demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour non paiement d’heures supplémentaires.

La Cour d’Appel y fait droit en constatant que « le non paiement d’heures supplémentaires pendant une durée d’un an et l’existence d’un travail dissimulé constituant des manquements suffisamment graves pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur dans la mesure où rien ne permet d’affirmer que (la salariée) se soit accommodée de la situation qu’elle a dénoncée, sa dénonciation est en effet intervenue au bout d’un an ce qui ne peut être considéré comme trop tardif ».

  1. L’épuisement professionnel conséquence du dépassement de l’amplitude maximale de travail[8].

Une Aide médico-psychologique demande au Juge de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail puis elle fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude.

La Cour constate que « le manquement de l’employeur est caractérisé par une violation d’une durée maximale de travail quotidienne et hebdomadaire… l’importance des dépassements de la durée maximale de travail et (son) caractère réitéré… et que la dégradation de l’état de santé (de la salariée) en épuisement professionnel » justifié par l’attestation d’une psychologue clinicienne établit « un lien de causalité entre le dépassement des horaires maximaux de travail de la salariée et la dégradation de son état de santé en raison d’un épuisement professionnel ».

Soyez donc vigilant avant d’engager une procédure en résiliation judiciaire et vérifiez si le manquement que vous soulevez est réitéré et suffisamment important pour répondre à la définition du manquement grave rendant impossible le maintien du contrat de travail.

Dans le même sens pour une absence de versement de salaire au taux horaire applicable doublé d’une absence de paiement de l’indemnité de trajet de de transport [9].

  1. Le temps de pause[10].

La pause du salarié est une obligation légale que l’employeur doit respecter (article L3121-16 du Code du travail).

Dans cette décision la Cour d’Appel considère que le salarié n’établissait pas avoir été privé de ses pauses, mettant ainsi irrégulièrement la charge de la preuve uniquement sur le salarié.

Arrêt cassé au motif que « la preuve du respect du temps de pause incombe à l’employeur et casse l’arrêt d’appel qui déboutait une employée commerciale de sa demande de résiliation judiciaire indiquant que la salariée allègue qu’elle « ne pouvait pas toujours prendre sa pause… mais qu’elle n’en rapporte pas la démonstration par la production, par exemple, d’attestations le confirmant », inversant la charge de la preuve et violant l’article L3121-16 du Code du travail ».

VIII. Le harcèlement manquement grave retenu par les Juges [11].

Une Attachée commerciale saisit la juridiction prud’homale en résiliation de son contrat de travail puis est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elle invoque le harcèlement sexuel de son N+1.

L’employeur se défendait en arguant avoir proposé à la salariée « de (la) changer de service afin de ne plus avoir à côtoyer (le harceleur), mesure de nature à préserver sa santé et sa sécurité ».

Mais la Cour de Cassation n’est pas plus sensible à cette argumentation que la Cour d’Appel, la victime de faits de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique sanctionné pénalement pour ces faits

« avait développé un syndrome dépressif réactionnel pris en charge au titre des accidents du travail, … l’employeur n’avait pris aucune mesure pour éloigner l’auteur du harcèlement du poste occupé par la salariée, et s’est contenté de le sanctionner d’un avertissement ».

On retiendra l’intransigeance des Juges en matière de harcèlement sexuel et la nécessité pour l’employeur dès qu’il a connaissance des actes de harcèlement de prendre une mesure immédiate d’éloignement et de sanction du harceleur, ainsi que la nécessité de justifier aussi des conséquences du harcèlement sur votre état de santé (voir plus haut pour les pièces conseillées).

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail

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