Discrimination syndicale : la réparation du préjudice économique doit être « intégrale »

 

Dans un arrêt qu’elle vient de rendre, la Cour d’appel de Versailles a jugé la classification interne instaurée par une entreprise en parallèle à celle de la convention collective comme « laiss[ant] place à une appréciation totalement subjective des compétences du salarié » et condamné l’employeur à indemniser et promouvoir un représentant syndical discriminé. Une décision avec laquelle les entreprises vont devoir compter.

Il n’a pas la portée symbolique de celui du conseil de prud’hommes de Paris qui a reconnu pour la première fois une discrimination raciale systémique. Mais l’arrêt rendu lui aussi juste avant les fêtes par la Cour d’appel de Versailles sur un cas de discrimination syndicale va faire date. Il porte sur l’indemnisation des salariés discriminés. « La réparation intégrale d’un dommage oblige à placer celui qui l’a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n’avait pas eu lieu », ont estimé les juges dans leur décision en date du 19 décembre.

Chiffrage du rattrapage salarial

En l’espèce, il s’agissait d’un ingénieur support technique embauché en 1997 par la société SAP France qui avait connu une carrière sans heurts jusqu’à ce qu’il prenne un mandat syndical, en 2006. L’affaire est montée jusqu’à la Cour de cassation qui a acté en 2017 la discrimination et renvoyé devant la Cour d’appel de Versailles le chiffrage du rattrapage salarial nécessaire pour compenser le manque à gagner passé (y compris sur l’intéressement et les droits à retraite) et repositionner professionnellement le salarié pour l’avenir.

Une fois encore, c’est la méthode Clerc qui a été confirmée par les juges, c’est-à-dire une évaluation non pas par rapport aux autres salariés situés au même niveau que lui au moment de la plainte, mais par rapport à ceux entrés au même moment que lui dans l’entreprise à un poste similaire. Ce faisant, les juges ne se sont pas contentés de se pencher sur le traitement du salarié au regard de la convention collective, en l’occurrence celle du Syntec.

Pour évaluer le préjudice, ils sont allés observer la classification interne de l’entreprise au regard de laquelle le plaignant est apparu moins bien traité que ses collègues. La Cour d’appel a porté un jugement sévère dessus, estimant qu’elle « laisse place à une appréciation totalement subjective des compétences du salarié, de sorte que le passage d’un grade à l’autre reste à la discrétion de l’employeur ». Les juges ont donc exigé « au vu de l’ancienneté acquise dans ses fonctions et au regard du panel de comparaison », un repositionnement conséquent du salarié, assorti de dommages et intérêts « en réparation du préjudice économique » jusqu’à ce reclassement du salarié, pour un montant de quelque 180.000 euros.

« Au bout de la logique »

La Cour d’appel de Versailles « est allée au bout de la logique de réparation intégrale », se félicite Clara Gandin (cabinet Boussard-Verrecchia), l’avocate du plaignant. Cette décision est d’autant plus importante que le salarié avait fini par abandonner tout mandat de représentant du personnel. Il sonne comme un avertissement aux entreprises et la Cour précise le fait que « l’existence d’une discrimination syndicale n’est pas nécessairement liée à la détention de mandats de représentation au sein de l’entreprise et peut n’être liée qu’aux engagements syndicaux du salarié concerné ».

En outre, les juges rappellent que les entreprises doivent leur fournir « des éléments objectifs et matériellement vérifiables » justifiant les différences de traitement, souligne Clara Gandin. Une leçon à méditer pour les employeurs sur le contenu des entretiens d’évaluation et les argumentations pas toujours étayées employées – ou non – pour refuser – ou accepter – une augmentation ou une promotion.

Parce qu’il y a un avant et un après l’engagement militant, la décision de la Cour d’appel de Versailles, comme toutes celles portant sur le contentieux de la discrimination syndicale, sont d’autant plus importantes qu’elles sont la tête de pont de la jurisprudence sur les autres motifs – nombreux – de discriminations au travail et notamment les discriminations sexistes ou d’origine.

Leïla de Comarmond

Les Echos  le 3 janv. 2020 à 8h00

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