De Poutine à Staline, la nostalgie camarade…
Timothy SNYDER Historien 16 novembre 2014 à 17:16
TRIBUNE
Alors que les convois militaires russes continuent d’envahir l’Ukraine, Vladimir Poutine décide de réhabiliter l’alliance entre Hitler et Staline à l’origine de la Seconde Guerre mondiale. S’adressant à un public d’historiens au musée d’Histoire russe contemporaine, il a déclaré : «L’Union soviétique a signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne» et il s’est vu répondre : «Oh ! Une chose bien mauvaise !» Et pourquoi donc ? Qu’y a-t-il de si mauvais au fait que l’Union soviétique n’ait pas voulu se battre ? […].
Le pacte Molotov-Ribbentrop d’août 1939 contenait un protocole secret de partage de l’Europe de l’Est entre les deux puissances. Un mois après le début de la guerre, ce pacte conduisit à l’invasion germano-soviétique de la Pologne. En qualifiant le «pacte Molotov-Ribbentrop» de bonne politique étrangère, Poutine a levé un vieux tabou soviétique et révisé sa propre position selon laquelle cette alliance était «immorale». Que pourrait-il avoir en tête ? En quoi un rapprochement avec l’Allemagne nazie lui semble-t-il si attrayant par les temps qui courent ?
Staline entre dans le pacte avec Hitler parfaitement conscient de l’antisémitisme de son partenaire. Le 20 août 1939, Hitler demande à rencontrer Staline qui accepte. Le leader soviétique cherchait déjà une bonne occasion de détruire la Pologne. Il commença par limoger Maxime Litvinov, son commissaire aux Affaires étrangères, qui était juif, et le remplaça par Molotov qui était russe. Le 23 août de la même année, Molotov négociait le pacte à Moscou avec le ministre des Affaires étrangères de Hitler, Joachim von Ribbentrop. A Genève, où se tenait alors le 21e Congrès juif mondial, la nouvelle créa un choc. Tous ceux qui étaient présents comprirent que Hitler avait désormais les mains libres et qu’une guerre était imminente, avec des conséquences effroyables pour les Juifs. Haim Weizmann, le président, clôtura le Congrès avec ces mots : «Mes amis, il ne nous reste plus qu’une chose à espérer : rester en vie.» Moins de deux ans plus tard, l’Holocauste commençait dans cette partie de l’Europe qui avait été négociée dans le protocole secret du pacte. En 1945, les millions de Juifs qui vivaient dans ces régions étaient presque tous morts.
L’alliance entre Hitler et Staline eut des conséquences dévastatrices pour la Pologne et les trois pays Baltes : la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie. Le 17 septembre 1939, la Wehrmacht et l’Armée rouge envahirent la Pologne. Dix mois plus tard, l’Armée rouge occupait les pays Baltes et les annexait à l’Union soviétique. Ces petits trois Etats perdirent leurs élites et des dizaines de milliers de citoyens furent envoyés en déportation. La législation soviétique déclara les Etats baltes comme «n’ayant jamais existé» si bien que toute relation avec eux devenait criminelle. L’idée soviétique selon laquelle on peut déclarer ou non l’existence de tel ou tel Etat – écho aux déclarations russes sur l’Ukraine – est ancrée dans la mémoire politique de la Pologne et des pays Baltes.
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