CHSCT : le vote du président n’est pas systématique
Comment calculer la majorité requise lorsque le CHSCT demande la nomination d’un expert ? Concrètement la voix de l’employeur doit-elle être décomptée ?
La Cour de cassation dans une décision du 26 juin 2013 apporte une réponse négative à cette interrogation. Une solution aisément transposable à d’autres hypothèses de délibération du CHSCT et qui permet de faire le point sur le droit de vote du président du CHSCT malgré quelques interrogations posées par la toute récente loi de sécurisation.
Le Code du travail reste muet sur le rôle du président lorsque, au cours d’une réunion, le CHSCT passe au vote. A l’instar de la délégation du personnel, l’employeur a-t-il lui aussi toujours le droit de s’exprimer ? En pratique, la réponse est essentielle car elle change bien évidemment le cours des choses. La prise en compte de la voix du président peut, en effet, faire basculer arithmétiquement la majorité nécessaire à la prise d’une décision.
Les éléments en présence
Faute d’indications précises dans les textes, il convient pour répondre juridiquement à la question, de recourir au parallélisme des formes entre le vote des délibérations au CHSCT et au comité d’entreprise, principe clairement énoncé à l’article L. 4614-2 du Code du travail. Concrètement, ce parallélisme commande une appréciation identique de la faculté de vote du président dans les deux institutions.
De la sorte, à l’instar de ce qui est prévu pour le comité d’entreprise (C. trav., art. L2325-18), on peut affirmer que le président du CHSCT ne participe pas au vote lorsqu’il consulte les membres du comité en tant que délégation du personnel.
En revanche, on peut affirmer que lorsque le vote porte sur l’organisation et les modalités de fonctionnement de l’instance, l’employeur peut y participer, les articles L. 4614-2 et L. 4613-1 du Code du travail prévoyant respectivement que « les décisions du CHSCT portant sur ses modalités de fonctionnement et l’organisation de ses travaux sont adoptées à la majorité des membres présents » et que « le CHSCT comprend l’employeur et une délégation du personnel ». Ce raisonnement a d’ailleurs été adopté à deux reprises par l’administration (Circ. du 3 juill. 1986 et du 25 mars 1993).
Concrètement donc, cela signifie que le président est exclu du scrutin quand :
- il procède à l’une des nombreuses consultations du CHSCT prévues par la loi ; en effet, s’il présente un document « définitif » au CHSCT pour recueillir son avis, il a déjà validé son contenu et n’a donc plus à se prononcer ;
- le CHSCT décide d’exercer une de ses prérogatives (droit d’alerte, droit d’enquête, inspections, expertise…). Le président est alors le représentant officiel de l’employeur et ne peut s’opposer à ce que la délégation du personnel exerce ses missions.
En revanche, et de manière d’ailleurs tout à fait marginale, le président peut prendre part au vote quand est posée une question qui touche à l’administration interne du comité :
- élaboration du règlement intérieur du comité (voir en ce sens, pour le comité d’entreprise, Rép. min. no 17698, JOANQ, 16 févr. 1987, p. 835) ;
- désignation du secrétaire du CHSCT : bien que la doctrine soit divisée sur la question, on peut en effet estimer que l’employeur peut effectivement participer au vote (voir en ce sens, TGI Paris, Ord. réf., 19 févr. 2009, no 09-51095). L’administration a d’ailleurs explicitement affirmé le principe (Circ. DRT, no 93-15, 25 mars 1993). On notera qu’elle a ainsi transposé au CHSCT, les règles posées par la jurisprudence en ce qui concerne les modalités d’élection du secrétaire du comité d’entreprise. En effet, de manière constante, la Cour de cassation considère que le chef d’établissement peut participer à la désignation du secrétaire du comité d’entreprise, ce vote ne constituant pas une consultation des membres élus du comité en tant que délégation du personnel (Cass. soc., 10 juill. 1991, no 88-20.411 ; Cass. soc., 5 janv. 2005, no 02-190.80, notamment).
Le débat sur le vote du président est-il pour autant totalement tranché ? Pas tout à fait : la comparaison entre une décision récente de la Cour de cassation et les dispositions prévues par la loi de sécurisation du marché de l’emploi pourrait en effet relancer le débat. Explications.
La décision de la Haute juridiction
Dans une décision du 26 juin 2013, la Haute juridiction a posé pour la première fois de manière explicite que lorsque le CHSCT décide de recourir à un expert, l’employeur ne peut participer au vote.
Concrètement, dans cette affaire, conformément à l’article L. 4614-12 du Code du travail, le CHSCT de la société Air France KLM avait décidé de recourir à un expert dans le cadre de la mise en place d’un projet important. La délibération du CHSCT avait été adoptée par quatre voix sur huit membres présents. Le président s’étant retiré de la réunion, il ne participa donc pas au vote. Pour contester la légitimité de l’expertise, il refusa ensuite de communiquer à l’expert désigné un certain nombre de documents. Dès lors, le secrétaire du CHSCT et la société d’expertise saisirent le juge des référés du TGI pour faire cesser le trouble manifestement illicite résultant, selon eux, du refus de l’employeur de remettre les documents nécessaires au bon déroulement de l’expertise.
En moyen de défense, l’employeur fit alors valoir qu’il aurait dû participer au vote, ce qui aurait bel et bien changé la donne : la majorité n’étant plus atteinte, l’expert n’aurait pas pu être désigné.
Au niveau juridique, il avança deux arguments textuels :
- l’article L. 4614-12 du Code du travail qui permet au CHSCT de désigner un expert agréé est inséré dans la section première du chapitre IV, portant sur le thème du « Fonctionnement » du CHSCT. Or, aux termes de l’alinéa 2 de l’article L. 2325-18 du Code du travail, la voix du président du comité d’entreprise n’est pas prise en compte dans l’hypothèse strictement définie « où ce dernier consulte les membres de ce comité en tant que délégation du personnel ». Il ne peut donc être déduit de ces dispositions légales combinées que la décision prise par le comité de recourir à un expert agréé exclut nécessairement la voix de son président pour le décompte de la majorité ;
- de plus, aucune référence textuelle ne permet d’affirmer que la décision de recours à l’expert s’analyse en une « consultation » au sens de l’alinéa 2 de l’article L. 2325-18 du Code du travail.
La Cour de cassation ne suit pas l’argumentation et reprend le raisonnement classique qui distingue nettement, comme nous l’avons vu, les décisions qui touchent purement au fonctionnement interne de l’instance de celles qui constituent à proprement parler des délibérations prises par la délégation du personnel : concrètement donc en ce qui concerne la désignation de l’expert CHSCT, il va de soi que, pour la Cour, cette désignation constitue une délibération sur laquelle les membres élus du CHSCT doivent seuls se prononcer en tant que délégation du personnel, à l’exclusion du président du comité.
La décision est sans surprise. Elle confirme une fois de plus que ce qui est clairement établi pour le vote du CE peut être transposé pour le CHSCT. En matière d’expertise réservée au CE, il a été effectivement jugé depuis longtemps que l’employeur ne peut pas prendre part au vote désignant l’expert-comptable pour l’examen annuel des comptes (Cass. soc., 26 nov. 1987, no 86-14.530).
Néanmoins, cette décision prend un relief particulier si on la rapproche des dispositions de la loi de sécurisation de l’emploi créant la nouvelle instance de coordination des CHSCT.
Instance de coordination du CHSCT
Pour rappel, selon le nouvel article L. 4616-1 du Code du travail, l’employeur peut mettre en place, de manière temporaire, une instance de coordination des CHSCT, chargée d’organiser le recours à une expertise unique lorsqu’un projet important concerne plusieurs CHSCT de l’entreprise, afin d’éviter que chacun des CHSCT ait recours à sa propre expertise.
Or, de manière extrêmement curieuse, en ce qui concerne le fonctionnement de l’instance, il est précisé par le nouvel article L. 4616-2 du Code du travail que seules les personnes visées aux 1o (l’employeur et son représentant) et 2o (les représentants de chaque CHSCT) ont « voix délibérative » (donc le droit de vote) au sein de l’instance de coordination. L’instance ayant pour seul mission de désigner un expert et éventuellement de rendre un avis sur le rapport de l’expert, on pourrait donc en déduire que l’employeur peut participer au vote désignant l’expert, ce qui est évidemment très étonnant au regard de l’arrêt du 26 juin 2013.
Un nouveau contentieux pourrait donc surgir à propos du vote du président dans le cadre de l’instance de coordination. Néanmoins, il y a fort à parier que les juges remédient à la maladresse rédactionnelle du législateur et appliquent à l’instance de coordination le raisonnement excluant toute participation de l’employeur aux votes destinés à l’émission d’un avis ou à la désignation d’un expert. Ils pourraient d’ailleurs, en ce sens, se fonder sur l’article L. 4614-2 du Code du travail qui prévoit explicitement que les décisions de l’instance de coordination sont prises selon les mêmes règles que celles posées pour le CHSCT.
On l’aura compris, qu’il s’agisse de l’instance de coordination ou du CHSCT lui-même, le principe du « parallélisme des formes » qui permet de s’appuyer sur les règles qui régissent le CE est toujours d’un grand secours pour combler les failles des textes et stabiliser le CHSCT, d’autant que sur le terrain, ce dernier occupe toujours davantage le devant de la scène.
Auteur : Aurélia Dejean de la Bâtie ,Directrice des collections Lamy-Liaisons santé-sécurité au travail