Vote électronique: il est illégal de voter pour un collègue
On se rappellera la collecte de mots de passe effectuée par la CFE-CGC qui a même vu des responsables voter en lieu et place de salariés sous leurs ordres. Nous savions que les actions étaient illégales mais, noyés dans toutes les infractions commises, nous n’avions obtenu l’annulation des élections que par d’autres voies.
De nombreuses élections professionnelles vont avoir lieu dans les entreprises au cours des prochains mois afin de mettre en place le CSE d’ici le 31 décembre 2019, date butoir. Le développement des outils numériques et un infléchissement de la législation facilitent le recours au vote électronique. Pour autant, celui-ci est strictement encadré et la Cour de cassation vient de rendre une décision rappelant l’interdiction des procurations dans le cadre des élections professionnelle.
Dans cette affaire, l’employeur d’un établissement de la société Flunch avait dénoncé une irrégularité tenant au déroulement de l’élection renouvelant les délégués du personnel et le comité d’entreprise et sollicité l’annulation des élections.
Trois salariées de cette entreprise, qui ne parlaient pas bien français et ne savaient pas se servir d’un ordinateur avaient sollicité une candidate à l’élection pour obtenir des explications sur le vote. Ces trois salariées ont finalement demandé expressément à la candidate, qui pensait « rendre service », de bien vouloir voter pour elle, à leur place et lui ont remis leurs codes permettant de voter électroniquement
Si pour la Cour d’appel, la fraude n’était pas établie et qu’en toute hypothèse l’irrégularité n’était pas de nature à fausser ou influencer les résultats, la Cour de cassation va adopter une position beaucoup plus stricte.
En effet, pour la Cour de cassation, le vote électronique ne peut être que personnel. Le vote par procuration ne s’exerce que dans les cas et limites prévus par le code électoral et ne s’applique pas aux élections des représentants du personnel. Ce principe a été rappelé dès 1984 dans une décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation2. Chaque salarié doit ainsi voter personnellement, ce que rappellent les juges du quai de l’horloge dans leur attendu :
« Le recours au vote électronique pour les élections professionnelles, subordonné à la conclusion d’un accord collectif garantissant le secret du vote, ne permet pas de déroger aux principes généraux du droit électoral ; l’exercice personnel du droit de vote constitue un principe général du droit électoral auquel seul le législateur peut déroger »
Le Code du travail rappelle également à plusieurs reprises que le vote aux élections professionnel « a lieu au scrutin secret ».
La décision de la Cour de cassation est donc logique juridiquement, d’autant qu’un mandat de vote, s’il n’était pas interdit, aurait nécessité une manifestation de volonté claire et non équivoque, avec, a minima, une procuration écrite.
L’encadrement législatif et réglementaire du vote électronique lors des élections professionnelles devrait d’ailleurs prévenir ce genre d’affaire.
Rappelons que la mise en place du vote électronique doit être prévue par accord collectif (accord d’entreprise ou de groupe). Si la voie de l’accord reste à privilégier, l’employeur peut, à défaut d’accord, décider seul du recours au vote électronique4.
De nombreux garde fous doivent accompagner le vote électronique, avec notamment l’établissement d’un cahier des charges afin d’assurer la confidentialité des données transmises, une information de la CNIL, des syndicats, représentants du personnel et des salariés. Avant sa mise en place, le vote électronique est également soumis à une expertise indépendante qui a pour but de vérifier que l’ensemble des exigences nécessaires à la confidentialité du système est respectée. L’employeur doit également mettre en place une cellule d’assistance technique chargée de veiller au bon fonctionnement et à la surveillance du système de vote électronique.
Dans l’affaire en cause, toutes ces précautions avaient pourtant été prises. Ainsi, une cellule d’assistance technique avait été instaurée afin de guider les électeurs dans l’utilisation du logiciel de vote. Des démonstrations destinées aux organisations syndicales avaient également été réalisée et un service téléphonique 7 jours sur 7 étaient à la disposition des salariés pour répondre à leurs interrogations. Enfin, une aide pour voter était prévue pour les électeurs en difficultés le jour du scrutin.
Il est donc particulièrement important de respecter le secret du vote, sous peine de voir les élections annulées comme cela a été le cas dans cette affaire et donc les scores électoraux remis en cause.
Soc., 3 octobre 2018 n° 17-29.022