Heures supplémentaires: qui ne dit mot, consent…
Deux décisions de la Cour de cassation, rendues en juin et novembre, vont faciliter la reconnaissance et la preuve des heures supplémentaires par les salariés, notamment devant le Conseil de Prud’hommes, qui, on le sait, est composé de deux juges salariés, mais aussi de deux juges employeurs peu enclins à condamner un autre employeur. Nous en profitons également pour rappeler les prérogatives des délégués du personnel en la matière.
- Des heures supplémentaires non autorisées mais néanmoins reconnues
- Dans beaucoup d’entreprises, les heures supplémentaires ne sont prises en considération que si le salarié a été autorisé, de manière expresse, à les réaliser. En réalité, au salarié qui fait cette demande, il sera souvent rétorqué qu’il manque d’efficacité ou qu’il est mal organisé. Non seulement l’autorisation sera refusée, mais le salarié, pris en tenailles entre sa conscience professionnelle et la peur de perdre son emploi, travaillera ainsi gratuitement pour le plus grand bénéfice de son employeur.
- Dans l’affaire en question, les magistrats de la Cour d’Appel avaient retenu que l’employeur ayant subordonné le paiement des heures supplémentaires à son accord préalable donné au vu d’une demande d’exécution d’heures supplémentaires présentée par le responsable du service, les fiches de pointages de M. X… ne suffisaient pas à établir qu’il avait l’accord de l’employeur pour l’accomplissement d’heures supplémentaires.
- La Cour de cassation, réaliste, ne s’en laisse pas conter en déduisant un accord implicite de l’attitude de l’employeur
- L’absence d’autorisation préalable n’excluait pas en soi un accord tacite de l’employeur et il résultait des constatations (de la Cour d’appel) que celui-ci qui avait eu connaissance, par les fiches de pointage, des nombreuses heures supplémentaires effectuées par le salarié à l’exécution desquelles il ne s’était pas opposé, avait consenti à leur réalisation. Cass. soc. 2 juin 2010 n° 08-40628 (P)
- En quelque sorte, en matière d’heures supplémentaires, l’employeur qui ne dit mot consent à leur accomplissement par le salarié.
2) La preuve des heures supplémentaires facilitée pour le salarié
Le 24 novembre dernier, la Cour de cassation a rendu une décision qui va grandement faciliter la tâche des salariés qui réclament le paiement d’heures supplémentaires. Elle figurera dans le rapport annuel de la Cour, preuve s’il en est, de l’importance qu’elle lui accorde.
« En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ». Article L 3171-4 du code du travail
Le salarié doit donc être en mesure de fournir des éléments, certes, mais de quel ordre ?
La Cour de cassation ajoute qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ». Cass. soc. 24 novembre 2010 n° 09-40928 (P+B+R)
Le nœud du problème, et l’écueil auquel se heurtent les salariés devant les juridictions prud’homales concerne le degré de précision des éléments à fournir pour mettre l’employeur dans l’obligation de fournir des éléments aux juges. Une exigence trop élevée risquant de réduire à néant les possibilités pour le salarié d’obtenir le paiement des heures supplémentaires accomplies.
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, la demande de la salariée a été rejetée par la Cour d’appel au motif que : « Mme X… ne produit pas d’éléments de nature à étayer sa demande lorsqu’elle verse aux débats un décompte établi au crayon, calculé mois par mois, sans autre explication ni indication complémentaire ».
Pour la Cour de cassation, les magistrats de la Cour d’Appel n’ont pas correctement appliqué l’article L 3171-4 : « En statuant ainsi, alors que la salariée avait produit un décompte des heures qu’elle prétendait avoir réalisées auquel l’employeur pouvait répondre, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Autrement dit, la seule production par le salarié d’un décompte manuscrit suffit pour obliger l’employeur à fournir des éléments en réponse à ceux avancés par le salarié.
Il reviendra alors à l’employeur de fournir des éléments contraires. Faute de pouvoir les fournir, la demande du salarié devra logiquement être admise par les juges. Par exemple : Cass. soc. 11 juillet 2007 n° 06-41706 (P)
3) Les prérogatives des délégués du personnel en matière d’heures supplémentaires
Avant d’être obligé de saisir le juge pour obtenir le paiement des heures supplémentaires accomplies, le salarié s’adressera peut-être à ses représentants du personnel. Le DP pourra transmettre la réclamation du salarié. Il s’agit ici du rôle classique du DP. Mais il lui sera possible d’aller plus loin, notamment afin de faciliter l’action judiciaire éventuelle du salarié.
En effet, « lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Les délégués du personnel peuvent consulter ces documents ». Article L 3171-2 du code du travail.
La possibilité de consulter les documents relatifs au décompte de la durée de travail n’est prévue que si tous les salariés occupés dans un service ou atelier ne travaillent pas selon un même horaire collectif. C’est notamment le cas lorsque les horaires individualisés sont pratiqués dans l’entreprise. Les salariés peuvent commencer le travail dans une plage horaire, par exemple 8H-10 H et finir entre 17 et 19 H.
Signalons enfin, que le fait de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli est passible des peines prévues en cas de travail dissimulé. (L 8221-5 pour l’interdiction, et L 8224-1 et suivants pour les peines)
Dans une décision du 21 juin 1999, le tribunal correctionnel de Versailles a condamné un employeur qui ne faisait pas apparaître les heures de travail « écrêtées », c’est-à-dire, des heures de travail réellement accomplies mais non rémunérées au-delà d’une certaine durée. Par exemple, en matière d’horaires individualisés, le salarié doit gérer son compteur et ne pas être en excédent de plus de 3 heures à la fin de chaque semaine. Si un salarié dépasse la limite des 3 heures, les heures excédentaires sont écrêtées. Elles ne sont pas comptabilisées.
Les juges de Versailles retiennent l’intention frauduleuse de l’employeur dans la mesure où il avait connaissance du nombre élevé des heures « écrêtées » et n’avait pas, malgré ses engagements, entamé de négociations salariales permettant d’y remédier avant la deuxième intervention de l’inspecteur du travail. Pour les juges, la société ne pouvait ignorer le coût représenté par ces heures, tant en salaire qu’en charges sociales. Pour un autre exemple, voir Cour d’Appel de Toulouse du 15 février 2006 n° 05/00920 .
Claude ROUAT pour ORSEU