Un syndicat catégoriel ne peut pas signer seul un accord intercatégoriel

cassationUn syndicat catégoriel qui n’a pas la capacité, par ses statuts, de représenter les intérêts des ouvriers et des employés ne peut signer seul un accord d’entreprise intercatégoriel, même si sa représentativité est indéniable. Dans cette hypothèse, l’accord est nul.

Un syndicat catégoriel1 peut-il signer seul un accord intercatégoriel ? La question est simple, la réponse de la Cour d’appel de Versailles lapidaire. Un accord intercatégoriel signé uniquement par un syndicat catégoriel est nul et ce, même si ce syndicat a recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés lors des dernières élections dans l’entreprise, tous collèges confondus. Les faits de l’espèce méritent un court rappel. La société Yara est composée à plus de trois quarts de cadres et d’agents de maîtrise. Lors des élections professionnelles qui ont eu lieu en 2009, le syndicat affilié à la CFE-CGC a recueilli 35 % des suffrages exprimés, la fédération CGT de la chimie (FNIC CGT), 44%.

Un accord relatif à l’emploi des seniors, dont il n’est pas contesté qu’il s’applique aussi bien aux cadres et agents de maîtrise qu’aux ouvriers et employés, a été signé en 2010 par le syndicat d’entreprise CGC. L’accord semble de prime abord valable puisqu’il a été signé par un syndicat représentatif dont la liste de candidats a obtenu plus de 30 % aux dernières élections professionnelles dans l’entreprise. La FNIC CGT demande néanmoins que l’accord soit déclaré nul au motif que son unique signataire – le syndicat catégoriel affilié à la CFE-CGC – n’avait pas la capacité juridique de signer un accord intéressant tous les salariés de l’entreprise, cela en raison de la limitation de son objet statutaire de défense des intérêts des seuls cadres et agents de maîtrise.
Accueillant la demande de la FNIC CGT, la cour d’appel annule l’accord. Le fondement de la décision a quelque chose de cristallin : « l’appréciation de la représentativité ne permet pas de modi fier la capacité juridique que le syndicat tient de ses statuts. »

Ainsi exprimée, la solution semble aller de soi. Mais la formule de la cour d’appel ne reflète pas la richesse des débats que la question a suscités et ne manquera pas de continuer à susciter2. Le jugement du TGI saisi dans cette affaire avait d’ailleurs déjà été repéré par la doctrine3.

CONTINUITÉ JURISPRUDENTIELLE?

L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles est-il novateur ? À cette interrogation, il est difficile de répondre nettement. Il a été souvent soutenu que la jurisprudence antérieure à la loi du 20 août 2008 admettait qu’un syndicat catégoriel puisse signer seul un accord s’appliquant à l’ensemble du personnel, sous réserve d’être représentatif dans toutes les catégories de personnel. Deux arrêts sont généralement convoqués.

Un premier, du 7 novembre 19904, se trouve fréquemment signalé5. Mais il n’est guère possible d’en tirer une leçon claire, car la cour d’appel qui, dans cette affaire, avait validé l’accord signé par la seule CGC, s’est vue censurée par la Cour de cassation. En effet, la cassation n’est pas fondée sur l’absence de capacité statutaire, mais sur l’absence de représentativité. On ne saurait donc déduire d’une réponse sur le terrain du défaut de représentativité un enseignement sur un éventuel décloisonnement statutaire. La seconde décision ne se révèle pas davantage décisive6. La Cour de cassation y indique qu’« une organisation syndicale catégorielle […] ne peut valablement signer un accord concernant l’ensemble des travailleurs que si elle démontre qu’elle est représentative de toutes les catégories de salariés dans le champ d’application de l’accord », ce qui pourrait laisser sous-entendre que l’objet statutaire n’importe pas. Cette interprétation est toutefois un peu forcée. En effet, la cour d’appel, dont la décision est cassée, avait visiblement mis l’accent sur le fait que la présomption de représentativité accordée à la CGC était limitée au personnel d’encadrement pour en déduire que sa capacité de représentation était également limitée. Aussi la réponse de la Cour de cassation paraît-elle étroitement dépendante de la motivation de la cour d’appel. Dans cet arrêt de la chambre sociale, comme dans le précédent, la question de l’habilitation statutaire n’est, de surcroît, jamais évoquée 7. Il paraît donc loin d’être évident que la jurisprudence antérieure ait consacré le décloisonnement statutaire des syndicats affiliés à la CGC. Tout au plus, était-il admis que l’affiliation d’un syndicat primaire à la CGC n’interdisait pas à un syndicat de représenter l’ensemble du personnel, sous réserve d’être représentatif auprès de toutes les catégories de salariés 8. Si l’accent était davantage porté sur la capa cité représentative que sur la capacité statutaire 9, certains auteurs rappelaient avec constance la centralité des statuts10.

À l’inverse, la jurisprudence la plus récente a souligné le caractère déterminant du champ statutaire. Tel est le cas d’un arrêt du 31 mai 2011 où était en jeu la validité d’un accord conclu avant la loi du 20 août 2008, mais selon des règles assez proches de celles instaurées par cette loi. Selon les magistrats de la chambre sociale, « un syndicat représentatif catégoriel peut, avec des syndicats représentatifs intercatégoriels, et sans avoir à établir sa représentativité au sein de toutes les catégories de personnel, négocier et signer un accord d’entreprise intéressant l’ensemble du personnel». L’incise entre virgules, ici mise en italique, montre bien que la Cour de cassation n’a pas entendu laisser un syndicat représentant le personnel d’encadrement, au sens large, signer seul un accord intéressant l’ensemble du personnel11. Plus récemment, la position de la Cour de cassation s’est encore précisée. Le 28 septembre 201112, elle a indiqué qu’un syndicat affilié à la CGC mais dont les statuts venaient d’être retouchés pour viser toutes les catégories de salariés, pouvait présenter des candidats dans tous les collèges. L’attention portée à la modification, récente en l’espèce, des statuts montre à quel point la capacité d’action syndicale est tributaire du pacte statutaire.
L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles ici rapporté s’inscrit donc dans le sillon d’une évolution jurisprudentielle récente mais qui tend à s’affirmer. Cette évolution paraît d’autant plus heureuse qu’elle se coordonne harmonieusement avec les nouveaux dispositifs légaux.

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