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Les effets pervers des baisses de cotisations patronales

L’efficacité des baisses de cotisations est un sujet sensible et particulièrement d’actualité à l’heure du bilan du CICE et de sa transformation en baisse pérenne de cotisations en 2019.

 

Trois chercheurs [1] du Conseil d’Analyse Economique viennent de publier une étude sur la question : ils préconisent de ne concentrer les baisses de cotisations que pour les salaires ne dépassant pas 1.6 SMIC. Décryptage.

Le CICE a été pensé par le gouvernement (Ayrault/Valls) pour répondre à ces deux problèmes : un chômage élevé des personnes peu qualifiées et une dégradation des exportations de nos entreprises. Le coût du travail trop élevé en France en serait la cause principale. L’idée de ce « pacte de compétitivité » était donc de baisser le coût du travail pour favoriser tant les exportations que les embauches.

Toutefois cette équation est quelque peu battue en brèche par le rapport du CAE. En effet, selon ses auteurs, les baisses de cotisations sont utiles pour réduire le chômage des personnes peu qualifiées si elles sont concentrées sur les faibles salaires. Ces baisses ciblées peuvent même avoir des effets positifs sur les exportations, sous certaines conditions.

En revanche, les baisses de cotisations au-delà de 1.6 Smic n’ont que peu d’effet sur l’emploi et pas d’effet sur les exportations. Plusieurs raisons sont avancées.

L’effet sur l’emploi dépend de la situation de l’entreprise. Pour celles qui ont une capacité d’autofinancement ou une profitabilité initiale supérieure à la médiane, elles auraient profité des baisses de cotisations afin d’augmenter l’emploi et la production. Pour les autres, la baisse de cotisations a essentiellement permis d’augmenter les marges. En revanche, quel que soit la situation de l’entreprise, les baisses de cotisations portant sur les hauts salaires sont une forte probabilité d’être utilisées pour augmenter les rémunérations.

Dans ces deux derniers cas, on comprend aisément que les effets sur l’emploi, comme sur les exportations soient nuls.

Est-ce à dire qu’il faut cibler les baisses de cotisations uniquement sur les plus bas salaires ? Si pour les auteurs du CAE cela semble évident, pour la CFTC il y a là un risque tant pour le pouvoir d’achat (et donc la consommation intérieure) que pour les exportations.

En effet, les baisses du coût du travail plus ciblées sur les faibles salaires ne montrent pas l’effet direct escompté car les entreprises françaises qui exportent sont des entreprises qui vendent souvent un savoir-faire (industrie de pointe), une technique (aéronautique) ou des produits à forte valeur ajoutée (luxe). Autant de secteurs qui embauchent très peu de personnes à bas salaire.

De plus, la baisse de coût pour les faibles rémunérations représente une « trappe au bas salaires ». Autrement dit, cibler uniquement les baisses de cotisations sur les bas salaires, reviendrait à condamner certains salariés à ne pas voir leur pouvoir d’achat augmenter.

C’est tout le paradoxe du dispositif : pour être bénéfiques sur l’emploi et l’économie, les baisses de cotisations doivent se concentrer sur les bas salaires ; mais ne cibler que les bas salaires peut freiner l’évolution de nombreux salariés.

Alors la tentation de critiquer ces baisses de cotisations et d’y revenir est forte. Toutefois, des questions demeurent. Les effets sur l’emploi de ces baisses de cotisations (et donc la hausses des marges) ne pourraient-ils pas se percevoir que sur le long terme (c’est la thèse de certains économistes). Si ces allégements n’avaient pas eu lieu, quel aurait été le niveau de croissance et celui de la création d’emploi ? C’est l’argument avancé par les défenseurs du CICE qui veulent poursuivre dans cette voie. Ils plaident que ces baisses de cotisations ont perdu en efficience du fait d’un coût du travail trop élevé à leurs yeux. Ceux-ci militent donc pour toujours plus de flexibilité, afin de marcher dans les pas de l’Allemagne.

On pourra leur répondre que cela s’est fait au prix d’une paupérisation d’une partie de la population. Outre-Rhin, 22,5 % des actifs qui ne sont pas protégés par le SMIC gagnent moins de 10,50 € de l’heure contre seulement 8,8 % pour la France. Par ailleurs, le taux de pauvreté est de 15,7% en Allemagne quand il atteint 13,6% en France. Est-ce là le modèle que nous voulons suivre, dans un climat social tendu qui a vu éclore de nombreuses revendications en faveur du pouvoir d’achat ?

D’ailleurs l’Allemagne revient sur cette politique puisqu’après avoir créé un SMIC (en 2014), elle vient de le valoriser pour 2019, et a d’ores et déjà annoncé une nouvelle hausse pour janvier 2020.

A travers cette note du CAE, et les différentes analyses faites autour du CICE, on voit bien la complexité des politiques publiques d’emploi telles que les allègements de charges. La question n’est pas de savoir si elles sont bonnes ou mauvaises, mais si elles produisent ou non les résultats attendus. C’est pourquoi il convient avant tout de les évaluer pour faire preuve de pragmatisme en les corrigeant si besoin. Ces évaluations, et les corrections qui en découlent, constituent d’ailleurs l’une des revendications majeures de la CFTC dans le cadre du grand débat national.

[1] Yannick L’Horty, Philippe Martin et Thierry Mayer.

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