La petite corruption de certains élus du personnel

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  • Publication publiée :juillet 27, 2017
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Pour elle, c’est sûr, rien ne va plus. Le 2 février dernier, Michèle P. a été condamnée par le tribunal correctionnel de Charleville-Mézières à deux ans de prison avec sursis pour détournement de fonds. Secrétaire pendant vingt ans du comité d’entreprise de Visteon, un équipementier automobile implanté dans les Ardennes, la «reine-mère», comme on l’appelait en interne, avait une fâcheuse tendance à puiser dans la caisse à grands coups de chèques falsifiés.

Elle aurait fait main basse sur 120 000 euros rien qu’entre 2005 et 2008, la prescription des faits interdisant de remonter plus en amont. Il est vrai que cette malheureuse élue CFDT était souffrante et que ces sommes servaient ­surtout à soigner sa maladie… du jeu, dans les casinos de France et du Liechtenstein. Qui l’eût cru d’une dame aussi disponible et prévenante ?

On ne voudrait pas jeter la suspicion sur les comités d’entreprise, mais il se cache parfois de sacrés filous sous leurs arbres de Noël. Bien sûr, la plupart des élus du personnel gestionnaire assurent leur mission honnêtement. Mais ils n’en ont que plus de mérite, tant le système favorise les dérapages. D’abord, parce que l’argent coule sans discontinuer dans ces machines à distribuer des bons cadeaux : chaque année, l’employeur est tenu d’alimenter leur budget de fonctionnement à hauteur d’au moins 0,2% de la masse salariale, et il verse en général un complément pour financer les œuvres sociales proprement dites.

Et puis parce que la comptabilité de ces instances fait rarement l’objet d’un contrôle sur pièces. «Depuis 2008, le Code du travail impose bien que le bilan des CE soit approuvé par un commissaire aux comptes, note Elodie Scemama-Benharrous, du cabinet Legrand Fiduciaire. Mais l’article en question est si imprécis qu’il n’est pas applicable.» Quant au patron de l’entreprise, qui est légalement aussi le président du CE, «il n’a aucun pouvoir, pas même celui de porter plainte s’il soupçonne une indélicatesse», précise Stéphane Béal, avocat chez Fidal. Dès lors, pourquoi se gêner ?

Pour les huiles syndicales, le moyen le plus simple de faire son beurre consiste à se servir directement dans la caisse. A ce petit jeu, les trésoriers sont évidemment les mieux placés. Celui du CE de Net2S, une SSII parisienne, a ainsi raflé il y a trois ans 18 000 euros, avant qu’on lui demande discrètement d’arrêter. Grand argentier d’une entreprise de nettoyage de la Vienne, Josette T. recourait pour sa part au chéquier du CE pour faire ses courses ou carrément créditer son compte en banque. En tout, elle aurait soustrait près de 31 000 euros de la baraque, selon le tribunal de Vienne. Pas mal, mais on peut mieux faire. Au centre de pièces détachées PSA de Moissy-Cramayel, Albert N’Tamba, l’actuel secrétaire du comité d’établissement, attend toujours que son prédécesseur CFTC s’explique sur les 53 000 euros de chèques émis entre 2003 et 2007, sans justificatifs.

Mais le plus hardi de la bande est incontestablement Claude A., l’ancien trésorier du comité d’entreprise de Micro-Mega, un fabricant de matériel pour dentistes : non seulement il prélevait du liquide dans la caisse, mais il remplissait à son nom des ­chèques sans ordre ­remis par les salariés au CE. Et il n’oubliait pas de se servir dans le stock de bons d’achat et de billets de cinéma. Montant estimé de ses emplettes : 50 000 euros. Pour éviter de se faire pincer, notre homme embarquait chez lui l’ordinateur portable du CE, ainsi que les classeurs contenant factures et relevés de compte. Quand sa remplaçante a exigé le retour au bercail du PC, l’engin est revenu en miettes, le fils d’une amie l’ayant bêtement fait tomber. La faute à pas de chance… En février dernier, le tribunal correctionnel de Besançon a condamné cet audacieux à dix-huit mois de prison avec sursis.

La plupart du temps, les pilleurs des CE prennent un peu plus de précautions : ils se contentent de forcer sur les notes de frais, en oubliant de temps à autre de fournir les justificatifs. C’est plus présentable et cela peut aussi rapporter gros, comme chez le fabricant de chaudières Baxi, à Soissons. A son arrivée à la tête du CE fin 2008, Thierry Depret a dû commander un audit, car la comptabilité laissait à désirer. Les résultats ne l’ont pas déçu : «En trois ans, mon prédécesseur CGT et son épouse auraient flambé 70 000 euros en notes de restaurant ou pleins d’essence», s’étrangle-t-il, effaré par la facilité avec laquelle on peut vider les comptes.

Fort heureusement, la plupart des syndicalistes indélicats ne vont pas jusque-là. Peut-être tourmentés par les scrupules, ils prennent soin de ne pas détourner un centime des œuvres sociales destinées aux salariés. Pour améliorer l’ordinaire, ils se contentent… de se faire acheter. Ça tombe bien, des fabricants de foie gras aux exploitants de salles de spectacle, en passant par les négociants en vins, les fournisseurs des CE sont prêts à tout pour prendre leur part de ce marché, estimé à 3 milliards d’euros.

«Une bouteille de champagne, je l’accepte, mais quand c’est une caisse entière qu’on m’envoie, j’organise un pot dans la boîte», jure Rémy Rigaudie, délégué FO chez ­Sogeti. Tout le monde n’a pas son élégance. Chez Ares, une SSII rachetée depuis peu par GFI, on cherche encore où sont ­passés le Caméscope, l’aspirateur sans sac, le wok électrique et le cadre photo numérique offerts par un fournisseur d’équipement de bureau. Perdus dans un déménagement, sans doute…

Les voyagistes aussi proposent des offres délectables, à commencer par leurs fameux «éductours». Officiellement, il s’agit d’inviter les élus à tester – tous frais payés – les futures destinations proposées au personnel. «Mon prédécesseur adorait ça, râle Michel Sergent, secrétaire du CE de l’usine Valeo d’Etaples. Comme si on essayait ses vacances avant de partir !» A l’usine Philips de Miribel, dans l’Ain, un élu est aussi réputé pour s’offrir ses congés par ce biais. «Ce n’est ni plus ni moins que du graissage de patte», dénonce le commercial d’un voyagiste spécialisé dans les CE, écœuré par les exigences trop explicites («open bar-open filles») de certains élus célibataires.

Bruno Declairieux.

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